huitième assemblée et cinquantenaire

Faisons route ensemble
Introduction: première partie
Nicolas Lossky



Un peu plus de trois mille personnes -- délégués, invités, observateurs, observateurs mandatés, visiteurs, membres du personnel permanent et membres cooptés du Conseil oecuménique des Eglises -- se sont retrouvées, venant de toutes les parties du monde, dans la capitale du Zimbabwe pour la Huitième Assemblée du Conseil.
A plus d'un égard, cette Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises, tenue à Harare, Zimbabwe, du 3 au 14 décembre 1998, a été exceptionnelle. Tout d'abord, elle marquait le cinquantième anniversaire du Conseil, depuis sa fondation à Amsterdam en 1948. En même temps, elle coïncidait avec l'adoption, il y a également cinquante ans, de la Déclaration universelle des droits de l'homme (le secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, a envoyé un message enregistré en vidéo à l'Assemblée. D'autre part, l'ordre du jour comportait une réflexion sur la nature et l'avenir du Conseil dans le cadre de l'évolution du Mouvement oecuménique à la veille de l'an 2000. Enfin, l'organisation structurelle de l'Assemblée présentait des particularités par rapport aux sept précédentes: en plus des réunions plénières délibérantes et administratives habituelles, des réunions d'information-débat (Hearings) se sont tenues parallèlement (cinq dans une première étape, six dans une deuxième). En plus, de nombreuses réunions sur les sujets les plus divers se sont tenues simultanément sous le nom de "Padare" (mot de la langue Shona qui signifie "lieu de rencontre et d'échange" où l'on parle et où l'on s'écoute librement). Il y en eut à peu près quatre cents. Il convient de souligner que les réunions de type "Padare" ne faisaient pas partie de l'Assemblée de façon officielle (bien que, selon la suggestion du Comité exécutif, un Groupe consultatif du Padare ait été mis en place pour s'assurer du bon ordre des choses). Dans l'immense diversité ainsi créée, des sujets de toutes sortes, souvent d'une importance capitale ont pu être abordés. Quoi qu'il en soit, on comprendra aisément que suivre tout ce qui se passait était quasiment impossible. On ne peut, par conséquent, prétendre donner un compte rendu exhaustif. Disons simplement que grâce à cette immense diversité, l'Assemblée de Harare a sans doute été la plus largement représentative du monde chrétien par rapport à toutes celles qui l'ont précédée.

Cette image Shona, conçu par Chaz Maviyane-Davies, à partir de l'emblème de l'Assemblée.


Le contexte mondial
L'Assemblée de Harare s'est tenue dans un contexte mondial marqué par des conflits et des attentats sanglants (Soudan, Rwanda, Congo, ex-Yougoslavie, Algérie...). Durant l'Assemblée elle-même, Narus au sud-Soudan a vécu un attentat à la bombe perpétré sans doute par l'armée soudanaise en guise de représailles contre le sermon prononcé par l'évêque catholique Paride Taban de Torit (Soudan). L'évêque a prêché au stade Rufaro à Harare sur le thème de l'Assemblée: "Tournons-nous vers Dieu dans la joie de l'espérance; accent particulier sur la paix et la justice en Afrique." Les bombes ont explosé sur la place devant sa cathédrale tuant au moins six personnes et en blessant grièvement quatorze. (Le président et le secrétaire général ont immédiatement adressé une lettre au ministre soudanais des Affaires étrangères l'engageant avec fermeté à assurer la sécurité de l'évêque Paride Taban et à poursuivre en justice les responsables de cet attentat.) De même, l'Assemblée a appris l'assassinat de six religieuses au Congo. Il faudrait ajouter les catastrophes "naturelles" comme l'ouragan qui a sévi au Nicaragua et que certains lient au réchauffement de l'atmosphère et au courant El Niño.

En cette fin du XXe siècle, le phénomène de mondialisation, par certains côtés positif -- rapprochement de l'humanité tout entière et connaissance de tous les problèmes de la planète -- est surtout ressenti dans ses effets pervers. Dans un monde dominé par la permanente tentation du seul profit, les deux tiers de l'humanité ne cessent de s'appauvrir, exploités par ceux qui prêtent et se font payer en nature, obligeant les pays pauvres à exporter leurs matières premières et emprunter sans cesse pour payer les intérêts de leurs dettes aux banques mondiales. Le problème de la dette a été au premier plan des préoccupations de l'Assemblée de Harare. La mondialisation représente indiscutablement une invitation et une occasion pour les chrétiens de prendre conscience de la responsabilité qu'ils ont les uns pour les autres et de pratiquer une entraide concrète et soutenue. On ne peut faire de la théologie enracinée dans l'Evangile sans mettre constamment en pratique le souci pour "l'un de ces plus petits". La mondialisation nous invite aussi à découvrir que "ces plus petits" sont à nos portes, sont parmi nous: les chômeurs, les sans-droits, les sans-abris, les étrangers-réfugiés-émigrés qu'on se renvoie, un peu comme des déchets nucléaires, sans parler du nouvel esclavagisme que représente l'exploitation des travailleurs clandestins, y compris des enfants. La mondialisation invite les chrétiens à repenser totalement la notion de "nation" en fonction des déplacements et des mélanges de populations.

Une paradoxe de la mondialisation.
Jio de Janeiro, Brasil
(© COE/photo par Nando Neves-It, no. 5886-12)


Le contexte africain
C'est la deuxième fois qu'une Assemblée du COE se tient en Afrique, vingt-trois ans après la première (Nairobi, 1975). Par deux fois, l'Afrique a été présentée aux participants de l'Assemblée de Harare. Une séance plénière y fut consacrée avec des diapositives, un accompagnement musical où les tam-tam et les batteries jouent un rôle prépondérant et tout à fait envoûtant, une excellente représentation théâtrale, elle aussi ponctuée par une musique qui peut-être exprime le mieux l'esprit de l'Afrique, un commentaire et deux discours (N. Barney Pityana et Mercy A. Oduyoye). Les thèmes dominants ont été les libérations successives des Africains: de l'esclavage, de la colonisation et, aujourd'hui, des dictatures et des conflits internes, pour ne rien dire de l'endettement et de la corruption. L'autre moment de rencontre fut la célébration au stade Rufaro de Harare avec les Eglises du Zimbabwe dont il a déjà été question plus haut. Il faut ajouter un moment privilégié de rencontre avec l'Afrique: il s'agit de la visite du président Nelson Mandela, venu spécialement pour s'adresser à l'Assemblée. La prestance et la noblesse de cet homme âgé sont tout à fait impressionnantes. Dans son discours, il a exprimé sa reconnaissance au Conseil oecuménique des Eglises pour le rôle anti-raciste qu'il a joué, en particulier en mettant en place le Programme de lutte contre le racisme (PLR) lequel a contribué à l'élimination de la politique de l'apartheid.


Membres des paroisses locales pendant le service
célébré au Rufaro Stadium, samedi 5 décembre.
(© COE/photo par Chris Black, no. 7090-16)



Le président du l'Afrique du Sud, Nelson Mandela, venu spécialement pour s'adresser à l'Assemblée.
(© COE/photo par Chris Black, no. 7177-10a)

Le contexte du Zimbabwe
Le pays qui a reçu la Huitième Assemblée du COE, le Zimbabwe (ancienne Rhodésie britannique), n'est sans doute pas le plus pauvre de l'Afrique. Cependant, il souffre d'un taux de chômage très élevé et le SIDA-VIH y fait des ravages: sept cents morts par semaine, selon certaines sources (mille selon d'autres). Des conflits sociaux se sont développés et le droit de grève a été suspendu. En outre, le problème de la propriété des terres arables oppose de grands fermiers blancs et des paysans autochtones.

En dépit de ces tensions, la population n'a nullement perdu son immense sens de l'hospitalité et les nombreux visiteurs ont été reçus, tant par le Conseil des Eglises du Zimbabwe, par le gouvernement (le président Mugabe est venu faire un discours à l'Assemblée et a offert une réception à quelques personnalités du Conseil), que surtout par la population. L'amabilité des bénévoles, du personnel de service et des gardes de la police et de l'armée, omniprésents sur le campus, est tout à fait étonnante. Le sourire et la gentillesse n'ont jamais manqué.

Le mois de décembre est le plein été et, par conséquent, la saison des pluies (vitales pour le pays). Le soleil africain brille dans un beau ciel bleu, avec un petit nuage à l'horizon. Soudain, le ciel est noir et un orage cataclysmique éclate, détrempant toute cette terre rouge qui devient une véritable patinoire. Et naturellement, on a oublié son parapluie dans sa chambre qui se trouve à une distance respectable. En plus, l'Université avait décidé de relier toutes les installations informatiques du campus. Du coup, celui-ci était entièrement quadrillé de tranchées destinées à recevoir la tuyauterie contenant les circuits de câblage. Mais si les conditions de travail n'ont pas été facilitées par ces petits inconvénients, dans l'ensemble, les uns et les autres ont pris cela avec bonne humeur, aidés en cela par l'extrême courtoisie des gens du lieu.

(ci-contre) Le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, qui a pris la parole le mardi 8 décembre. (© COE/photo par Chris Black, no. 8014-07s)


Proximité de l'an 2000
Le phénomène de mondialisation, déjà évoqué, entraîne d'autres effets pervers, en particulier lorsqu'il se combine avec un certain climat millénariste, à peu près inévitable en cette fin de siècle, et en même temps fin de millénaire. On a fait dire à André Malraux que le XXIème siècle serait "spirituel" ou ne serait pas. Il est certain que beaucoup de nos contemporains, spécialement des générations montantes, recherchent une dimension spirituelle, surtout après un siècle de matérialisme. Certaines régions, comme l'Europe de l'Est, sont affectées plus que d'autres, mais on trouve cette recherche un peu partout. Malheureusement, il s'agit trop souvent d'une recherche orientée vers des formes de spiritualité d'un type sectaire, parfois même suicidaire. Le prosélytisme de certaines sectes fait des ravages parmi des gens fragiles que les Eglises et religions "traditionnelles" ne contentent plus. La crainte millénariste pousse à rechercher une identité toute faite. Si certaines sectes font des ravages, la crise d'identité, due en partie au millénarisme et en partie à la mondialisation, entraîne une forte recrudescence de nationalisme, de tribalisme, de ce que les orthodoxes appelleraient l'"ethnophylétisme", au sein même des Eglises "traditionnelles". Ce phénomène complexe constitue sans doute l'un des éléments d'explication de la "crise" de l'oecuménisme au sein du Conseil qui s'interroge sur ses structures: discussion entre les partisans de "familles" d'Eglises et les défenseurs d'identités individuelles des Eglises locales; débat sur le vote majoritaire opposé à la recherche d'un consensus.

Si l'approche de l'an 2000 comporte des aspects parfois négatifs, elle est en même temps source d'espérances nouvelles dans une fidélité renouvelée à la Bonne Nouvelle reçue il y a quelque deux mille ans. A cet égard le thème de l'Assemblée de Harare a été particulièrement bien choisi: "Tournons-nous vers Dieu dans la joie de l'espérance". En effet, la "joie de l'espérance" consiste en l'annonce au monde du coeur même de l'Evangile, la Bonne Nouvelle par excellence, l'annonce du Christ ressuscité. Une telle annonce, surtout ensemble, n'est possible que par le "retournement" (cf. Joël 2, 12), une metanoia, titre de l'un des discours sur le thème au cours de l'Assemblée.

Jubilé
L'attente dans le repentir et l'espérance du troisième millénaire se mariait particulièrement bien au cinquantenaire du Conseil oecuménique des Eglises, année de son jubilé. A peu de chose près, le Conseil a tenu ses Assemblées tous les sept ans, et ceci sept fois, appliquant ainsi le précepte du Seigneur: "Tu compteras sept semaines d'années, c'est-à-dire sept fois sept ans; cette période de sept semaines d'années représentera donc quarante-neuf ans... Vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants; ce sera pour vous un jubilé" (Lévitique 25,8,10). L'année 1998 a été, pour le Conseil dans son service au mouvement oecuménique, la cinquantième année, l'année du Jubilé. Il était donc naturel que ce thème fût présent à Harare. Il l'a été essentiellement de deux façons, parfaitement complémentaires: tout d'abord et surtout, l'esprit du texte du Lévitique imprégnait les temps de prière; d'autre part, en application de ce qui était prié, les formes de libération, en particulier la demande d'allègement ou de suppression de la dette des pays pauvres, ont fait l'objet d'appels adressés au monde, avec conscience que les Eglises ne peuvent refuser de jouer un rôle moteur dans ce domaine, surtout les Eglises des pays nantis.




Introduction: deuxième partie

Table des matières
Huitième Assemblée et Cinquantenaire

© 1999 Conseil oecuménique des Eglises | Pour toute remarque concernant ce site:
webeditor