huitième assemblée et cinquantenaire

Faisons route ensemble
Allocution du président Nelson Mandela



Cette allocution a été prononcée le 13 décembre 1998 à la célébration du cinquantenaire du COE.


ALLOCUTION DU PRÉSIDENT NELSON MANDELA

C'est un grand honneur pour moi, Africain, que de me retrouver dans cette auguste assemblée, en terre africaine.

Vous êtes venus célébrer cinquante ans de réalisation, cinquante années passées à éveiller la conscience du monde et à la mobiliser en faveur de la paix, des pauvres, des défavorisés et des dépossédés.

Le COE célébre 50 ans de "cheminement vers un jubilé" -- Président Mandela avec Pauline Webb
(© COE/photo par Chris Black, no. 7177-10a)

Lorsque le Conseil oecuménique des Eglises a été créé, les cendres d'un monde réduit à néant par des décennies de crise économique, la guerre, l'adhésion à une doctrine raciste et la violation des droits de l'homme, étaient encore fumantes.

Dans le cadre d'un effort international déployé pour que jamais plus de telles choses ne se reproduisent, le COE a contribué à faire valoir les droits de l'homme pour tous les êtres humains, où qu'ils soient, comme le proclamait la communauté internationale. Ce faisant, vous avez contribué à justifier les luttes des opprimés pour leur liberté.

En Afrique du Sud, en Afrique australe et sur tout le continent, le COE est connu depuis toujours comme le champion des opprimés et des exploités.

En revanche, le nom du COE faisait trembler ceux qui gouvernaient notre pays et déstabilisaient notre région à l'époque inhumaine de l'apartheid. Mentionner votre nom, c'était s'attirer la colère des autorités. Laisser entendre qu'on était favorable à vos idées, c'était se faire cataloguer ennemi de l'Etat.

Et pour cette raison justement, le nom du COE faisait tressaillir de joie le coeur de la grande majorité de nos concitoyens. C'était pour nous un encouragement et une inspiration.

Lorsque, voilà trente ans, vous avez lancé le Programme de lutte contre le racisme et créé le Fonds spécial pour soutenir les mouvements de libération, vous avez montré que votre appui n'était pas simplement le soutien charitable de lointains bienfaiteurs mais une lutte partagée pour des aspirations communes.

Et surtout, vous avez respecté le jugement des opprimés sur le moyen le plus propre à les faire accéder à la liberté. Pour cette vraie solidarité, les peuples d'Afrique du Sud et d'Afrique australe se souviendront toujours du COE avec gratitude.

En venant ici, je disais au président Mugabe qu'il était plus jeune que moi, et que peut-être avais-je vécu des choses que lui n'avait pas connues à son époque. Mais je lui ai dit que ma génération était le produit de l'éducation de l'Eglise. Sans les missionnaires et les autres organisations religieuses, je ne serais pas ici aujourd'hui.

Le gouvernement de l'époque ne s'intéressait nullement à l'éducation des Africains, des métisses et des Indiens. L'Eglise achetait la terre, construisait les écoles, les équipait, engageait et employait des gens. Aussi en disant que nous sommes le produit de l'éducation missionnaire, je dis que jamais je ne remercierai assez les missionnaires de ce qu'ils ont fait pour nous. Mais, pour comprendre pleinement l'importance de l'Eglise, il faut avoir été dans une prison sud-africaine sous l'apartheid. On essayait de nous isoler complètement du monde extérieur. Nos familles ne pouvaient nous rendre visite que tous les six mois. Et nous n'étions autorisés à écrire et à recevoir une lettre que deux fois par an. Ce sont les organisations religieuses, des chrétiens, des musulmans, des hindous et des juifs qui ont maintenu le contact. Voilà les croyants qui nous ont inspirés.

Président Mandela avec le Imolonji KaNtu Choral Society
(© COE/photo par Chris Black, no. 7177-10a)

L'appui du COE a été exemplaire, et de la manière la plus concrète qui soit, de ce que la religion a fait pour notre libération. De la prise en mains de l'éducation des opprimés par les institutions religieuses parce que nos dirigeants la leur refusaient, jusqu'au soutien apporté à notre lutte de libération, chaque fois que la religion a joint ses nobles idéaux et ses valeurs à la pratique, elle nous a fortifiés et a nourri ces mêmes idéaux à l'intérieur du mouvement de libération.

C'est donc un motif de fierté pour nous que l'Afrique du Sud démocratique ait une constitution qui consacre ces valeurs et ces idéaux. C'est d'ailleurs aussi en leur nom que la communauté internationale soutient nos efforts pour la liberté et la justice.

Ces idéaux et ces valeurs doivent être notre guide dans le voyage inachevé que nous avons entrepris ensemble.

Les droits qui ont été acquis et déclarés universels resteront vides de sens et notre liberté, incomplète si des millions d'êtres humains dans notre pays, en Afrique et dans le monde continuent à être sans abri et à souffrir de la faim, de la maladie et de l'ignorance et s'il n'est pas mis un terme à cette malédiction qui gâche leur vie.

Cinquante ans après l'instauration d'un ordre mondial qui était censé éviter qu'une nouvelle catastrophe vienne s'abattre sur l'humanité, le spectre d'une nouvelle calamité dont les proportions défient l'imagination nous oblige à en créer un nouveau. A la suite d'une évolution de la situation internationale qui était imprévisible vers le milieu du siècle, le fossé entre les riches et les pauvres du monde se creuse encore au lieu de se combler.

Au seuil du nouveau millénaire, il n'est pas de défi plus grand à relever que l'éradication de la pauvreté et du sous-développement.

Il est devenu impératif de réformer les institutions de l'ordre actuel si l'on veut que tous puissent enfin vivre en paix et dans la dignité. En se servant de cette réunion pour réfléchir à son rôle et chercher à dégager des orientations pour le siècle à venir, le COE répond aux besoins de son temps.

Dans ce contexte, mon continent, l'Afrique, rêve d'une renaissance africaine qui passe par la reconstruction et le développement et lui permette de surmonter les séquelles d'un passé dévastateur et de faire de la paix, des droits de l'homme, de la démocratie, de la croissance et du développement des réalités vivantes pour tous ses enfants.

Nous avons déjà franchi, grâce à nos efforts, quelques étapes décisives sur cette voie. Par exemple, plus de 40 élections démocratiques se sont déroulées depuis 1990. La plupart des pays du continent sont en paix à l'intérieur et avec leurs voisins. Jusqu'à ce que les effets de l'actuelle tourmente économique mondiale se fassent sentir, l'Afrique subsaharienne enregistrait une croissance économique modeste mais soutenue de 5 pour cent en moyenne depuis près de dix ans. La coopération régionale est une réalité et se renforce de jour en jour, en Afrique australe comme dans d'autres parties du continent.

Je ne veux pas dire par là que l'Afrique ait réussi à sortir du bourbier de la pauvreté, de la maladie, des conflits et du sous-développement.

Les conflits en République démocratique du Congo, en Angola, au Soudan et ailleurs sont de graves sujets d'inquiétude. Dans un monde où l'interdépendance est aussi étroite que dans le nôtre, ils ont des répercussions non seulement sur les parties directes, mais aussi sur leurs voisins et sur des régions entières. Ils déstabilisent, déplacent des populations et soustraient des ressources aux services sociaux.

De tels conflits peuvent anéantir tous les efforts que nous faisons pour satisfaire les besoins urgents de notre peuple, mais je voudrais qu'il soit bien clair pour tous que l'Afrique en général, et notre région en particulier, compte des dirigeants très compétents, très engagés et très expérimentés, et je n'ai aucun doute qu'ils parviendront à résoudre ces conflits à la satisfaction de tous. Tous les dirigeants de notre région savent que la paix est la meilleure arme au service du progrès. Ils savent que tous les êtres humains, sans exception, veulent pouvoir vivre selon leurs aspirations. Or seule la paix peut apporter la stabilité nécessaire. Tous les dirigeants de la région le savent et ils travaillent jour et nuit pour parvenir à une solution.

A la fin d'un siècle qui nous a appris que la paix était le meilleur atout du développement, nous ne pouvons pas nous permettre de négliger le règlement pacifique des conflits.

Nous ne pouvons pas non plus nous laisser détourner de notre devoir de coopération. Il nous faut en effet coopérer d'urgence pour épargner à notre continent les effets néfastes de la mondialisation et l'équiper pour qu'il puisse exploiter les chances offertes par cette importante avancée planétaire.

Il nous faut travailler ensemble pour que le legs du sous-développement ne marginalise pas l'Afrique par rapport à l'économie mondiale.

Il nous faut trouver les moyens de lutter contre le SIDA dont l'incidence est ici la plus élevée au monde, de faire progresser et de consolider la démocratie, d'extirper la corruption et la cupidité et de garantir le respect des droits de l'homme.

Il nous faut trouver ensemble les moyens d'attirer les investissements, d'élargir notre accès aux marchés et de décharger l'Afrique d'une dette extérieure qui pèse sur elle plus que sur toute autre région.

Il nous faut coopérer pour imprimer une orientation nouvelle aux institutions qui réglementent le système international du commerce et des investissements, afin que la croissance économique mondiale se traduise par un développement dont on récolte les bienfaits.

Il nous faut trouver les moyens d'empêcher que les efforts déployés par les Etats pour asseoir leur économie sur des bases saines afin d'élever le niveau de vie de leur peuple ne soient anéantis par le déplacement d'énormes capitaux à travers le monde à la recherche de profits rapides.

S'il est un défi lancé aux dirigeants d'aujourd'hui, c'est de trouver les moyens d'utiliser la prodigieuse puissance de l'économie mondiale actuelle pour porter un coup fatal à la pauvreté qui continue de toucher une grande partie de l'humanité.

Le COE fait partie de cette cohorte de responsables à qui revient cette tâche impressionnante, certes, mais réalisable. Le fait que, pour votre 50ème anniversaire, vous ayez choisi l'Afrique pour débattre des défis à relever au prochain millénaire témoigne de ce que vous êtes toujours solidaires de tous ceux qui luttent pour la paix et la dignité.

Il y a trente ans, vous lanciez un programme qui a fait oeuvre de pionnier et a donné des orientations d'avenir. Non contents d'affirmer le droit des opprimés à la résistance, vous avez pris le risque de vous engager activement dans la lutte pour mettre fin à l'oppression. Aujourd'hui, le COE est appelé à faire preuve du même engagement dans une nouvelle lutte, plus difficile encore, celle qui a pour enjeu le développement et le renforcement de la démocratie.

C'est un grand privilège pour moi, dont la vie publique tire à sa fin, de pouvoir partager avec vous ces pensées et ces rêves d'un monde meilleur.

Je le fais, le coeur plein d'espoir, sachant que je suis au milieu d'hommes et de femmes qui ont choisi de faire du monde le théâtre de leur action pour la liberté et la justice.

C'est dans la mesure où la paix et l'équité deviendront réalité dans ce monde que, comme les légions d'hommes et de femmes qui, dans le monde entier, ont consacré leur vie à essayer d'améliorer celle de tous, je pourrai me retirer, satisfait et serein.

Et je m'adresse aux membres d'une organisation dont chacun, je crois, pourra dire à la fin de sa vie: "J'ai rempli mon devoir envers mon pays et envers mon peuple". Je m'adresse à des hommes et des femmes de parole. Signe de l'immortalité, ces hommes et ces femmes verront leur nom vivre au delà de la tombe et à travers les siècles. Pour cela, j'ai remis tous mes engagements, saisissant l'occasion de venir vous remercier tous de ce que vous avez fait pour chacun de nous. Merci, encore merci.



La participation de jeunes au COE

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Huitième Assemblée et Cinquantenaire

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