PAIX 
          SUR LA TERRE:
          DES VISIONS NOUVELLES, UNE PRATIQUE NOUVELLE 
          
        Discours 
          de Konrad Raiser, secrétaire général du COE
          au Colloque de Corrymeela sur les méthodes non violentes
          de règlement des conflits, le 2 juin 1994  
        Au moment où nous sommes rassemblés 
          à Corrymeela pour réfléchir aux méthodes non violentes 
          de règlement des conflits et échanger nos expériences 
          dans ce domaine, donnant suite ainsi à la décision du Comité 
          central du COE de lancer le programme Écuménique "vaincre 
          la violence" (Johannesburg 1994), trois des conflits les plus violents 
          et les plus effroyables de notre génération continuent de 
          faire rage en Angola, en Bosnie et au Rwanda. Si nous ressentons très 
          vivement le besoin de visions nouvelles et d'une nouvelle pratique capables 
          de nous aider à bâtir la paix sur la terre, en réponse 
          à la promesse biblique, en même temps nous avons plus que 
          jamais conscience de la culture de violence qui nous entoure et nous 
          asservit, conscience, aussi, de l'insuffisance de nos efforts et de 
          nos échecs quand il faut agir en vrais artisans de paix. Notre 
          action face aux inimaginables tragédies humaines causées par 
          ces conflits, et la nécessité de secourir les victimes, absorbent 
          toute notre énergie physique et émotionnelle, et laissent 
          peu de place, semble-t-il, au patient travail de sensibilisation qu'il 
          nous faut entreprendre pour faire accepter le plus largement possible 
          des méthodes non violentes de règlement des conflits. Quand 
          le secrétaire général de l'ONU a présenté son 
          "Agenda pour la paix", il a discerné trois tâches: le maintien 
          de la paix, le rétablissement de la paix et la consolidation de 
          la paix. L'impuissance et la faiblesse manifestes de l'Organisation 
          des Nations Unies comme instrument de maintien de la paix ont fait dévier 
          l'attention vers la forme classique de rétablissement de la paix 
          qui passe par l'intervention militaire - l'argument invoqué pour 
          justifier ce changement d'orientation étant l'argument humanitaire. 
          Aucune attention ou presque n'a été accordée à cette 
          tâche de plus longue haleine qu'est la consolidation de la paix, 
          avec ses besoins spécifiques.
        Dans les jours qui viennent, nous 
          allons discuter des méthodes non violentes de règlement des 
          conflits et des stratégies à appliquer pour vaincre la violence: 
          nous devrons avoir conscience que cette question, bien qu'elle se trouve 
          largement légitimée dans la Bible et s'appuie sur une longue 
          tradition Écuménique, est moins facilement acceptée aujourd'hui 
          qu'il y a cinq ans, au temps où s'amorçait le déclin 
          de la guerre froide. Certes, la situation d'affrontement entre les deux 
          blocs qui devait sa stabilité au système de dissuasion nucléaire 
          n'existe plus; mais sa disparition, loin de déboucher sur la mise 
          en place d'un nouvel ordre international fondé sur la paix et la 
          justice, a déclenché des conflits civils de plus en plus nombreux, 
          menés dans le mépris total des règles les plus élémentaires 
          du droit humanitaire. Toutes les convictions, toutes les perceptions 
          acquises durant des années de lutte Écuménique pour une 
          paix enracinée dans la justice, nous laissent impuissants, semble-t-il, 
          face à la violence qui se déchaîne dans ces conflits. 
          Nous devons appuyer notre analyse sur des bases nouvelles et, en particulier, 
          faire la critique de notre pratique. En tant que chrétiens, nous 
          ne pouvons que garder fermement l'espérance que Dieu sera fidèle 
          à sa promesse de shalom. Plus que nos convictions morales et éthiques 
          sur la paix et la non-violence, c'est ce sens de la réalité 
          eschatologique qui nous préservera du pharisaïsme et du désespoir.
        I. Notre héritage 
          commun
          Dès ses débuts, 
          le mouvement Écuménique s'est engagé à travailler 
          pour la construction de la paix. On ne rappellera jamais assez les premières 
          impulsions données par l'Union des Eglises pour la paix (Church 
          Peace Union), la contribution des chrétiens à la Deuxième 
          Conférence de la Haye pour la paix ( 1907), et la création 
          de ces deux associations: le Mouvement international de la réconciliation 
          et l'Alliance universelle pour l'amitié internationale par les 
          Eglises. Cet engagement des premières années a trouvé 
          son expression la plus importante dans le mouvement du Christianisme 
          pratique, inspiré par l'archevêque Nathan Söderblom. 
          C'est dans une résolution publiée conjointement par l'Alliance 
          universelle et le Christianisme pratique pour répondre au Pacte 
          Briand-Kellogg de 1928, que furent énoncés les éléments 
          de base du témoignage Écuménique en faveur de la paix 
          et du règlement non violent des conflits. La résolution dite 
          d'Eisenach-Avignon de 1928-1929 condamnait la guerre comme institution 
          propre à régler les conflits, la déclarant incompatible 
          avec l'esprit et les voies de Jésus Christ et de son Eglise. Elle 
          réclamait d'urgence que tous les conflits et les différends 
          internationaux qui ne pouvaient pas être réglés par la 
          voie diplomatique normale soient soumis à une procédure obligatoire 
          de conciliation, dans le cadre, par exemple, de la Cour internationale 
          de Justice. Elle demandait aux Eglises de déclarer sans ambiguïté 
          qu'elles n'apporteraient leur soutien ni ne participeraient à aucune 
          guerre qui n'aurait pas été précédée d'une 
          telle procédure de conciliation ou de médiation.
        Tout comme les déclarations 
          des Rassemblements de 1989 et de 1990 sur la justice, la paix et la 
          sauvegarde de la création (JPSC), cette résolution fut formulée 
          à un moment où l'on pouvait espérer bannir la guerre 
          en tant qu'institution. Mais très vite après, dans un cas 
          comme dans l'autre, le climat international changea complètement. 
          Ainsi, les années qui suivirent la Résolution d'Eisenach-Avignon 
          furent marquées par une confrontation de plus en plus vive qui 
          finit par déboucher sur la deuxième guerre mondiale. La Première 
          Assemblée du COE réunie à Amsterdam en 1948 ne put que 
          réaffirmer la conviction déjà exprimée par la Conférence 
          d'Oxford en 1937 que "la guerre est contraire à la volonté 
          de Dieu et devrait être condamnée comme un signe du pouvoir 
          du péché dans ce monde". Mais le réalisme chrétien 
          exigeant que l'on prenne en compte la manifestation du mal et du péché 
          de l'être humain, l'Assemblée, comme la Conférence d'Oxford, 
          dut se borner à constater qu'il existait trois positions divergentes 
          sur la question de la guerre et de la paix: 
         1. La position du pacifisme 
          classique qui refuse toute participation à la guerre et opte pour 
          un service actif en faveur de la paix, en lieu et place de la force 
          militaire. 
          2. La position conforme à 
            la morale classique de l'Etat, selon laquelle celui-ci, en tant qu'ordre 
            institué par Dieu, doit être prêt à employer la 
            force pour défendre la justice et peut obliger les chrétiens 
            à prendre les armes pour défendre leur pays.
          3. La position fondée sur 
            une application rigoureuse de la doctrine de la guerre juste, qui 
            considère que la guerre moderne, livrée avec des armes de 
            destruction massive, ne peut jamais constituer un acte de justice. 
            La redécouverte de la fonction critique exercée par la doctrine 
            de la guerre juste peut être considérée comme l'apport 
            le plus important des premières conférences Écuméniques 
            à une éthique Écuménique de paix.
        
        L'Assemblée d'Amsterdam s'était 
          réunie à la veille de la guerre froide et les années 
          suivantes furent donc marquées par l'action permanente menée 
          par la communauté Écuménique pour promouvoir la cause 
          du désarmement et limiter la course aux armements. Mais ce qu'il 
          importe surtout de souligner, ici, c'est que c'est durant ces années-là 
          que l'on redécouvrit le lien indissociable qui existe entre la 
          paix et la justice. La paix ne se réduit pas à une absence 
          de guerre. Elle n'est pas seulement mise en danger par le pouvoir militaire, 
          mais aussi par la faim, par l'oppression, par l'injustice. Dans sa lettre 
          encyclique sur le développement ("Populorum progessio", 1967), 
          le pape Paul VI écrivait: "Le développement est le nouveau 
          nom de la paix". Cette phrase résume bien la nouvelle approche. 
          Celle-ci allait de pair avec le jugement de plus en plus critique porté 
          sur les systèmes de défense de la sécurité purement 
          militaires, notamment sur la doctrine dite de la "sécurité 
          nationale". Cette nouvelle vision des choses était manifestement 
          conditionnée par les affrontements mondiaux de la période 
          de la guerre froide, mais il ne faudrait pas laisser perdre l'impact 
          déterminant qu'elle a eu. La déclaration de l'Assemblée 
          de Vancouver sur "La paix et la justice" reste un résumé valable 
          de l'approche critique et des convictions acquises pendant cette période.
        La conviction Écuménique 
          selon laquelle "tant que la justice ne régnera pas pour tous et 
          partout, aucune paix ne sera possible" a été sévèrement 
          mise à l'épreuve dans le contexte du Programme de lutte contre 
          le racisme et de son soutien à des mouvements de libération 
          qui utilisaient des moyens militaires pour venir à bout de l'injustice 
          du racisme. C'est cette situation, et le défi qu'elle constituait, 
          qui suscita la réflexion la plus sérieuse jamais entreprise 
          au Conseil Écuménique des Eglises sur le thème "La violence, 
          la non-violence et la lutte pour la justice sociale". Celle-ci conduisit 
          à reformuler les trois positions classiques sur la guerre et la 
          violence, appelant les tenants de chacune de ces positions à examiner 
          ses convictions avec les autres. Nous découvrons, sous-jacentes 
          à ces positions, des attitudes différentes concernant la relation 
          entre la communauté chrétienne et les pouvoirs publics. Si 
          nous voulons sortir de l'impasse où s'est enfermé le mouvement 
          Écuménique à propos des questions de la guerre et de 
          la paix, de la violence et de la non-violence, il est indispensable 
          d'examiner plus en détail ces éléments non dits d'une 
          éthique politique chrétienne.
         II. La nouvelle 
          physionomie du monde au lendemain de la guerre froide
          Les changements décisifs 
          survenus dans le monde après 1989 ont des implications profondes 
          pour la manière dont nous définissons et construisons la paix. 
          Il n'est pas nécessaire de passer en revue de manière détaillée 
          tous les faits qui se sont succédé mais il convient d'en souligner 
          certains aspects. Face à une vision eurocentrique de ces changements, 
          nous ne devons pas oublier que l'année 1989-1990 a été 
          une année charnière dans l'histoire du monde entier. En effet, 
          l'effondrement des systèmes socialistes d'Europe de l'Est n'est 
          pas le seul événement notable de cette période; il y 
          en a d'autres, comme le déclin de l'apartheid en Afrique du Sud 
          qui entre-temps a été définitivement aboli, ou la formation 
          de la nouvelle constellation en Amérique centrale, mais aussi la 
          suppression du mouvement démocratique en République populaire 
          de Chine. En Europe, ces changements ont trouvé leur expression 
          la plus signifiante dans la "Charte de Paris pour une nouvelle Europe", 
          adoptée au sommet de la Conférence sur la sécurité 
          et la coopération en Europe (CSCE) à Paris, en novembre 1990. 
          L'adoption de cette Charte s'est accompagnée de l'ouverture d'un 
          processus de désarmement réel, le premier jamais entrepris, 
          qui allait bien au-delà des accords traditionnels sur la maîtrise 
          des armements. Dans de nombreuses autres régions du monde, ces 
          changements se sont traduits par de nettes avancées vers la démocratisation. 
          Au niveau mondial, le nouveau rôle joué par l'Organisation 
          des Nations Unies est le résultat visible de l'amorce d'une nouvelle 
          phase dans les relations internationales. La fin de la guerre froide 
          a signifié la fin d'une situation d'affrontement entre deux pôles, 
          affrontement qui non seulement a marqué la scène politique 
          européenne et nord-atlantique pendant plusieurs décennies, 
          mais a été le cadre de toute la politique internationale. 
          La question d'un ordre international fondé sur la paix n'est plus 
          seulement une question théorique dont on se contente de débattre, 
          elle se situe maintenant au cÉur de la politique internationale.
        Cependant, la guerre du Golfe, 
          survenue très peu de temps après ces événements 
          charnières, a clairement montré que le passage de l'affrontement 
          à la coopération n'est ni automatique ni dépourvu d'ambiguïté. 
          Le débat qui a eu lieu à la Septième Assemblée du 
          COE (Canberra 1991) sur la déclaration relative à la guerre 
          du Golfe, a prouvé que les Eglises ne sont pas encore en mesure 
          d'apporter une réponse cohérente à cette question: comment 
          peut-on et comment devrait-on régler les conflits internationaux 
          pour promouvoir une paix fondée sur la justice? Ce problème 
          est encore exacerbé par les récents conflits d'une extrême 
          violence qui ont éclaté dans l'ex-Yougoslavie et dans plusieurs 
          pays africains. La résurgence du nationalisme, l'expérience 
          de la violence génocide et de la purification ethnique, et l'incapacité 
          des Nations Unies à remplir leur rôle d'instrument du maintien 
          de la paix, ont créé une situation d'incertitude et de confusion. 
          Ni dans le domaine de la politique ni dans celui de l'éthique, 
          les problèmes ne sont clairement définis, et les solutions 
          appropriées à y apporter ne le sont donc pas non plus. La 
          chose la plus déconcertante est que dans nombre de ces conflits, 
          les questions de l'identité nationale, de l'appartenance ethnique 
          et de l'allégeance religieuse se sont mises à former un mélange 
          explosif qui semblent anéantir ou presque tout espoir de trouver 
          des solutions aux problèmes. S'il est vrai que quelques-uns seulement 
          des conflits de l'après-guerre froide sont dus à des motifs 
          religieux, il est également vrai que les allégeances religieuses 
          ont été manipulées à des fins politiques et que 
          les différentes communautés religieuses, qu'elles soient chrétiennes, 
          musulmanes ou autres, ont été dans une large mesure incapables 
          de se défendre contre cette perversion de leur intégrité. 
          Cela montre assurément que les communautés religieuses, y 
          compris les Eglises chrétiennes, à la fois font partie du 
          problème et pourraient contribuer à sa solution.
        Le brusque changement intervenu 
          dans les relations internationales après 1989 nous renvoie à 
          une situation similaire qui s'est produite il y a 60 ans. Les grandes 
          espérances de la fin des années vingt, symbolisées par 
          le Pacte Briand-Kellogg et par la Déclaration Écuménique 
          d'Eisenach-Avignon qui lui faisait écho, se brisèrent avec 
          la montée du fascisme, du stalinisme et du national-socialisme. 
          La crise économique mondiale de 1929 et des années suivantes 
          marqua le début d'un tournant dans l'Histoire qui finit par déboucher 
          sur la deuxième guerre mondiale. Certes, il faut manier les analogies 
          historiques avec prudence, mais il n'en demeure pas moins que la présente 
          fragilité de l'ordre international appelle les chrétiens à 
          témoigner plus résolument encore au service d'une paix fondée 
          sur la justice.
        Pour la communauté Écuménique, 
          les années 1989 et 1990 ont été les points culminants 
          du processus "Justice, paix et sauvegarde de la création" (JPSC). 
          Si les événements qui ont suivi ont rejeté dans l'ombre, 
          pour une bonne part, les acquis obtenus tout au long de ce processus, 
          le mouvement Écuménique ne peut pas revenir en arrière 
          et ignorer le large consensus réalisé durant ces années, 
          avec la pleine participation de l'Eglise catholique romaine. On mettra 
          ici en relief quatre convictions fondamentales qui devraient continuer 
          à guider notre réflexion aujourd'hui: 
         1. La guerre n'est plus 
          un moyen auquel on peut avoir légitimement recours pour régler 
          les relations entre Etats. La guerre moderne menée avec des armes 
          de destruction massive et aveugle doit être condamnée et bannie 
          comme étant un crime contre l'humanité, conformément 
          aux critères éthiques de la doctrine de la guerre juste. 
          2. Justice et paix sont indissociables. 
            La paix ne se réduit pas à une absence de guerre et la sécurité 
            des personnes est constamment menacée par des situations d'injustice 
            structurelle. Le maintien et la consolidation de la paix sont un processus 
            auquel il faut apporter un soutien permanent, en travaillant sans 
            relâche pour étendre le règne de la justice et promouvoir 
            le respect des droits de l'homme. La doctrine classique de la guerre 
            juste qui visait à prévenir ou à limiter la guerre 
            doit céder la place aujourd'hui à la notion de paix juste. 
            La guerre ne peut plus être un acte de justice.
          3. La sécurité n'est 
            pas seulement un problème militaire touchant au maintien de l'ordre 
            et à l'intégrité de l'Etat. L'enjeu ici c'est que l'être 
            humain puisse vivre dans la sécurité. Cette sécurité 
            ne peut être maintenue que si on l'envisage sous l'angle collectif, 
            par le biais de dispositifs communs. C'est pourquoi la mise en place 
            de systèmes collectifs de sécurité à l'échelon 
            régional doit être considérée comme un élément 
            décisif dans un nouvel ordre de paix international.
          4. Dans la situation actuelle, 
            le témoignage que les Eglises traditionnellement pacifistes ont 
            rendu pendant de nombreuses années à la non-violence revêt 
            une portée nouvelle. Il constitue le défi le plus éclatant 
            qui soit à la culture de violence prédominante. A ce titre, 
            il n'est donc plus à considérer comme une position idéaliste 
            et apolitique bien que respectable; mais il nous renvoie à la 
            nécessité d'élaborer une nouvelle forme de raison politique 
            que nous devons faire nôtre si nous voulons que l'humanité 
            survive.
        
        Ces convictions qui, il y a encore 
          seulement quatre ou cinq ans, paraissaient s'appuyer sur un large consensus, 
          semblent subitement dénuées de sens dans une situation où, 
          de plus en plus, la guerre est à nouveau acceptée comme un 
          instrument politique légitime. Seule la force, dit-on, peut arrêter 
          l'agression, et les Eglises sont à nouveau censées soutenir 
          l'usage qui est fait de la force militaire pour défendre l'ordre 
          international et les principes humanitaires fondamentaux, ou censées, 
          tout au moins, s'abstenir de formuler ouvertement leurs critiques. On 
          invoque à nouveau la doctrine de la guerre juste pour légitimer 
          l'"ingérence humanitaire", et les vieux stéréotypes de 
          l'ennemi qui semblaient dépassés resurgissent sous un autre 
          visage. La question décisive est de savoir si nous allons réagir 
          aux incertitudes et aux turbulences de la situation présente en 
          recourant à des schémas forgés par des décennies 
          d'affrontement, ou si nous sommes capables de comprendre cette situation 
          comme une phase de transition et de réorientation. Pour la première 
          fois depuis soixante ans, l'instauration d'un nouvel ordre de paix international 
          reposant sur des visions nouvelles et une nouvelle pratique est devenue 
          chose possible. Mais elle est aussi devenue un impératif.
         III. 
          La contribution des Eglises à l'édification de la paix
          Les chrétiens et les 
          Eglises vivent par la promesse d'un ciel nouveau et d'une terre nouvelle 
          où la justice règnera. La notion de shalom de l'Ancien Testament 
          englobe les trois dimensions de la paix, de la justice et de la sauvegarde 
          de la création. Là où l'on assiste à l'éclatement 
          des communautés et à l'extension d'une culture de violence, 
          l'exhortation biblique à être des artisans de paix et de réconciliation, 
          adressée aux disciples du Christ, revêt une urgence nouvelle. 
          En 1990, à Séoul, le Rassemblement mondial sur la justice, 
          la paix et la création (JPSC) a appelé à promouvoir une 
          culture de non-violence active, tournée vers la vie, qui ne soit 
          pas une démission face à la violence et à l'oppression, 
          mais au contraire un moyen d'Éuvrer pour la justice et la libération. 
          Ses participants se sont également engagés à "pratiquer 
          la non-violence dans leurs relations personnelles, à militer en 
          faveur de l'interdiction de la guerre en tant que méthode de règlement 
          des conflits légalement reconnue, et à exhorter les gouvernements 
          à instaurer un ordre juridique international pour l'établissement 
          de la paix". Comme on le lit dans un document de base intitulé 
          "Surmonter l'esprit, la logique et la pratique de la guerre", qui a 
          été soumis au Comité central du COE à Johannesburg 
          en janvier 1994: "Il est évident qu'il nous faut affronter et surmonter 
          l'esprit, la logique et la pratique de la guerre' et élaborer de 
          nouvelles approches théologiques, en accord avec les enseignements 
          du Christ, qui ne partent pas de la guerre pour aboutir à la paix 
          mais se fondent sur l'exigence de justice. Le temps est peut-être 
          venu pour les Eglises de relever ensemble le défi qui leur est 
          ici lancé: renoncer à toute justification, théologique 
          ou autre, du recours à la force militaire, que ce soit dans le 
          cadre de la guerre ou au nom de systèmes de sécurité 
          fondés sur la dissuasion militaire, pour devenir une koinonia vouée 
          à la recherche d'une paix juste".
        Les conflits qui sévissent 
          aujourd'hui dans le monde sont souvent dus à des situations d'injustice, 
          comme par exemple à l'écart grandissant séparant riches 
          et pauvres (au sein du même pays ou entre différents pays), 
          à la lutte pour le pouvoir, à la résurgence du racisme 
          et de la xénophobie, à la violence exercée à l'encontre 
          des femmes et des enfants, à l'exploitation sauvage des ressources 
          naturelles, à la prolifération du commerce des armes alors 
          que des millions d'êtres humains meurent de malnutrition et de 
          maladies. Souvent aussi, ces conflits proviennent de dissensions du 
          passé qui ont été réprimées pendant la période 
          d'affrontement mondial, comme par exemple les tensions entre groupes 
          ethniques, nationaux, religieux, linguistiques et raciaux. Dans de nombreux 
          cas de ce genre, le recours à la violence pour régler le conflit 
          montre qu'il y a rupture des formes les plus élémentaires 
          de communication et d'écoute. Ajoutons que beaucoup des conflits 
          actuels n'auraient pas pris les formes de violence extrême qu'on 
          leur connaît si on ne mettait pas à la disposition des parties 
          en lutte une profusion d'armes de plus en plus sophistiquées et 
          coûteuses et si l'on n'endoctrinait pas les militaires avec l'idéologie 
          de la sécurité nationale.
        La construction de la paix est, 
          sans aucun doute, une entreprise complexe et les chrétiens et les 
          Eglises, pour y contribuer, devraient se fixer des objectifs modestes. 
          En comparaison avec la situation d'il y a soixante ans, les Eglises, 
          partout dans le monde, ne sont plus guère en mesure d'influencer 
          de manière notable les décisions politiques. Les Eglises historiques, 
          en particulier celles de traditions orthodoxe et protestante, sont confrontées 
          à un choix difficile en matière d'allégeance: allégeance 
          envers la nation et le peuple, ou allégeance envers le corps universel 
          du Christ. Il y a, à mon avis, trois manières dont les Eglises 
          peuvent participer à l'édification de la paix: promouvoir 
          un changement fondamental de mentalité, créer des réseaux 
          de relations et encourager des initiatives ponctuelles en faveur de 
          la paix et du règlement non violent de conflits. 
         a) 
          Promouvoir un changement de mentalité. Est-ce de l'idéalisme 
          ou de l'utopie de vouloir mettre fin à la guerre en tant qu'institution? 
          Aujourd'hui encore, on considère que c'est faire preuve de réalisme 
          d'admettre que les conflits armés entre pays sont historiquement 
          inévitables. Tout ce qu'on a pu faire jusqu'à présent 
          a été de contenir et de limiter la guerre en fixant des normes 
          éthiques et juridiques, c'est-à-dire en définissant les 
          limites à l'intérieur desquelles une guerre peut être 
          considérée comme un autre moyen légitime de poursuivre 
          une politique. Cette approche traditionnelle a une analogie historique 
          dans l'institution de "la lutte des clans" comme moyen de régler 
          un conflit entre familles ou entre individus. A la fin du Moyen Age, 
          les Eglises chrétiennes ont apporté une contribution décisive 
          à la mise en place généralisée d'un ordre de paix 
          qui mettait fin à la pratique cette institution. A sa place fut 
          établi un ordre juridique garanti par l'Etat, donnant à celui-ci 
          le monopole du recours à la force. 
          La situation dans laquelle nous 
            nous trouvons actuellement demande que nous prenions des mesures semblables 
            dans le domaine des conflits entre Etats. Les normes éthiques 
            et juridiques classiques sont devenues caduques face aux armes de 
            destruction massive. Il faut remplacer les méthodes militaires 
            de règlement des conflits par un ordre juridique international 
            qui protège efficacement l'intégrité et les droits 
            des peuples et des Etats, rendant inutile le recours à la force 
            militaire pour défendre la souveraineté nationale. C'est 
            peut-être une vision utopique des choses, mais l'enjeu est ici 
            la survie même de l'humanité. Cela exige un changement fondamental 
            de la conscience politique et morale, qui ne pourra pas s'opérer 
            du jour au lendemain. C'est là que les Eglises peuvent et doivent 
            apporter leur contribution.
          L'importance du rôle qu'elles 
            pourraient jouer saute aux yeux quand on voit que tous les Etats qui 
            s'engagent dans une guerre cherchent à justifier leur action 
            par des arguments moraux ou religieux. La guerre a toujours été 
            une situation limite au plan éthique. Aussi les responsables 
            se sont-ils toujours efforcés d'obtenir une légitimation 
            religieuse et ont toujours considéré un refus comme une 
            offense. Mais si l'on veut que la guerre en tant qu'institution perde 
            sa légitimité, les Eglises devront réfléchir très 
            sérieusement aux conditions d'une paix juste au lieu de continuer 
            à vouloir définir celles d'une guerre juste. 
          La Charte des Nations Unies comporte 
            un certain nombre de mesures précises relatives au maintien de 
            la paix, mais jusqu'à ce jour, elles ont rarement été 
            appliquées. C'est ce qui se produit, en particulier, pour la 
            Cour internationale de Justice dont les arrêts ont souvent été 
            pris à la légère par les Etats accusés de violer 
            les principes du droit international. L'institution d'un tribunal 
            international pour juger les crimes commis pendant la guerre dans 
            l'ex-Yougoslavie pourrait constituer un jalon important dans l'action 
            entreprise pour mettre fin à l'impunité dont jouissent de 
            plus en plus couramment les auteurs de violations massives des droits 
            de l'homme. En tout cas, l'un des buts fondamentaux de cette nouvelle 
            méthode de règlement pacifique des conflits doit être 
            de rétablir et de renforcer le respect des règles essentielles 
            du droit humanitaire international. Il s'agit là du fondement 
            même de notre culture civique et publique, et les Eglises peuvent 
            apporter sur ce plan une contribution majeure.
          La Guerre du Golfe, mais aussi 
            le conflit dans l'ex-Yougoslavie, ont révélé les limites 
            du pouvoir de l'ONU et suscité toute une série de propositions 
            visant à réviser le système des Nations Unies et de 
            leur Charte. L'utilisation de sanctions économiques et d'autres 
            formes d'embargo comme moyens de pression sur les parties en conflit 
            en vue de régler ce conflit ou, du moins, de le limiter est une 
            question qu'il faut reconsidérer. Si, dans le cas du régime 
            d'apartheid en Afrique du Sud, la politique des sanctions a été 
            largement soutenue par la plupart des Etats et semble avoir contribué 
            à l'effondrement de ce régime, l'application d'une telle 
            politique à la Serbie ou à la République d'Haïti 
            soulève de nombreuses questions. Dans ces deux derniers cas, 
            en effet, elle a eu pour résultat inattendu de renforcer le pouvoir 
            en place et donc de prolonger le conflit. Le Comité central du 
            COE, lors de sa session de Johannesburg, a adopté la recommandation 
            qui lui était faite d'examiner la politique des sanctions et 
            son application comme moyen non militaire de régler les conflits 
            internationaux. L'utilisation de l'embargo sur les armes et la mise 
            au point d'un dispositif de contrôle international du commerce 
            des armes est l'un des aspects de cette politique. Dans toutes ces 
            situations, les Eglises peuvent apporter une contribution significative 
            en encourageant le débat public sur de telles propositions et 
            en renforçant ainsi leur acceptabilité politique.
          b) 
            Création de réseaux de relations. S'il est très important 
            que les Eglises s'engagent publiquement en faveur de propositions 
            et de politiques visant à régler les conflits internationaux 
            par des moyens non militaires, il faut se souvenir que ces Eglises 
            et les organisations Écuméniques ne sont pas des institutions 
            publiques mais des communautés de personnes. Ce qui compte, ce 
            sont les expériences vécues par des hommes et des femmes 
            dans des situations de conflit, et leur participation active à 
            l'édification d'une culture civique nouvelle au sein de leur 
            société et entre différentes sociétés. De 
            plus en plus souvent, les conflits violents sont provoqués par 
            des luttes de pouvoir entre de petites élites qui prennent en 
            otage des populations entières. Il est donc d'autant plus vital 
            que les Eglises et les organisations Écuméniques travaillent 
            d'abord à renforcer les liens élémentaires qui unissent 
            les membres d'une même communauté ou à reconstituer 
            le tissu social là où il est déchiré. Dans beaucoup 
            de sociétés, l'une des priorités est actuellement de 
            reconstruire la communauté et de venir à bout des stéréotypes 
            de l'"ennemi" profondément ancrés dans les esprits. C'est 
            un travail qui exige la collaboration de toutes les composantes de 
            la société civile. De nombreuses cultures, en particulier 
            celles des sociétés traditionnelles, véhiculent une 
            sagesse profonde sur la manière de régler les conflits par 
            des moyens non violents et de résister aux explosions de violence 
            ou à la violence imposée de l'extérieur. Dans le domaine 
            de la recherche sur la paix et de sa mise en Éuvre dans divers 
            contextes, des exemples récents montrent qu'il est possible de 
            mobiliser ces réseaux traditionnels de liens sociaux pour rétablir 
            la paix et régler les conflits.
          L'établissement de systèmes 
            d'alerte rapide comme instrument de prévention de conflit est 
            autre aspect du problème, lié au précédent. Pour 
            détecter les signes d'un conflit possible et pour prendre à 
            temps des mesures de prévention, il faut de nouvelles méthodes 
            d'information et de communication, c'est-à-dire un système 
            qui enregistre immédiatement les signaux émanant de la réalité 
            quotidienne des gens. Les Eglises et les organisations Écuméniques 
            ont ici un avantage sur les gouvernements et les institutions internationales: 
            celui d'être enracinées dans les plus petites unités 
            sociales, dans toutes les régions du monde. A condition de développer 
            la sensibilité nécessaire, elles devraient être en 
            mesure de détecter les signes d'un conflit avant que celui-ci 
            n'éclate ouvertement. Et elles pourraient ainsi aider à 
            actionner le système d'alerte et à mettre en place les mesures 
            de prévention.
          L'une des causes principales 
            des conflits sociaux et internationaux entre Etats et groupes ethniques 
            est la perception déformée qu'ils ont des intentions et 
            des intérêts de l'autre. La guerre du Golfe et le conflit 
            dans l'ex-Yougoslavie ont montré de manière inquiétante 
            comment la propagande et la désinformation délibérée 
            sont utilisées actuellement comme armes contre l'ennemi. A cet 
            égard, il convient de rappeler ici la déclaration adoptée 
            par le Rassemblement mondial de Séoul, selon laquelle "la vérité 
            est le fondement d'une communauté d'êtres libres". Un ordre 
            international de paix fondé sur la justice n'est possible que 
            si toutes les parties ont accès sans restriction aux moyens d'information 
            et ont la possibilité, au même moment, de présenter 
            et d'interpréter leur propre situation en toute liberté. 
            Les Eglises, donc, peuvent contribuer à la consolidation de la 
            paix en plaidant résolument pour la vérité et pour 
            une communication sans entrave. En particulier, elles peuvent agir 
            en médiatrices entre les parties en conflit en transmettant une 
            information conforme à la vérité. Elle peuvent dénoncer 
            la propagande et la désinformation et préparer ainsi le 
            terrain à une solution éventuelle.
          Il a déjà été 
            souligné que, de plus en plus, la religion constitue un facteur 
            important de la dynamique des conflits. En Europe orientale en particulier, 
            mais aussi ailleurs dans le monde, la religion en tant que composante 
            de l'identité collective joue à nouveau un rôle primordial 
            sur la scène publique. Face à la tendance actuelle qui consiste 
            à utiliser et manipuler la religion à des fins politiques, 
            toutes les communautés religieuses, et plus particulièrement 
            les Eglises, doivent assumer la responsabilité qui est la leur 
            de résister au risque d'un vrai conflit religieux, avec toutes 
            les connotations irrationnelles qu'il recouvre. Dès le début 
            du siècle, le mouvement Écuménique a cherché à 
            manifester la réalité de la communauté chrétienne 
            mondiale à travers un réseau d'engagement mutuel transcendant 
            les frontières nationales, ethniques, culturelles et linguistiques. 
            Aujourd'hui, il s'agit d'étendre cette démarche aux relations 
            entre les religions du monde. Toutes les religions reconnaissent le 
            commandement fondamental de l'amour du prochain. Tout conflit religieux, 
            quelle qu'en soit l'origine, constitue une violation de ce commandement. 
            Les Eglises et les chrétiens doivent donc être prêts 
            à s'attaquer à la mentalité de croisade et à promouvoir 
            une éthique universelle de paix et de non-violence. Les travaux 
            de la Conférence mondiale sur la religion et la paix et la déclaration 
            du Parlement mondial des religions qui vient de se tenir à Chicago 
            vont dans ce sens. Cependant, il reste encore à les mettre en 
            pratique dans les relations quotidiennes des communautés religieuses 
            qui vivent ensemble en un même lieu. 
          c) 
            Initiatives au service de la paix et du règlement non violent 
            des conflits. Parmi les recommandations résultant du processus 
            "Justice, paix, et sauvegarde de la création" (JPSC), l'une d'elle 
            demandait que l'on crée des services Écuméniques chargés 
            de promouvoir la paix, la justice et la réconciliation par des 
            actes concrets. Cette idée est issue de l'expérience des 
            Eglises traditionnellement pacifistes et de celle d'autres groupes 
            sans attache religieuse particulière. Les nombreuses actions 
            de réconciliation internationale entreprises actuellement montrent 
            suffisamment qu'il est possible de désamorcer voire de régler 
            les conflits intérieurs, mais aussi les conflits internationaux, 
            en recourant à la présence d'observateurs, à une information 
            rapide et à une médiation compétente. Dans la perspective 
            chrétienne, c'est là une nouvelle forme de diaconie publique, 
            qui devrait être reconnue officiellement comme telle aussi par 
            les grandes Eglises. Si l'on voit combien de ressources et d'énergie 
            sont mises en Éuvre pour la formation et l'entraînement 
            de jeunes gens à la lutte armée, on se rend compte que les 
            efforts faits pour développer la capacité de la société 
            dans le domaine du règlement non violent des conflits sont gravement 
            insuffisants. Les expériences faites récemment avec le déploiement 
            des forces de maintien de la paix des Nations Unies démontrent 
            qu'un soldat ayant reçu une formation militaire normale n'est 
            pas suffisamment préparé à faire un travail d'artisan 
            de la paix et qu'il n'est pas reconnu comme tel par la population 
            victime du conflit. Tant que l'on n'aura pas procédé à 
            une révision des priorités politiques, les Eglises devront 
            prendre les initiatives qui permettront de préparer et de former 
            des personnes à la tâche d'observateurs, de médiateurs 
            et de conciliateurs. Les expériences des brigades de la paix 
            en Amérique centrale, des comités de la paix au Nicaragua 
            ou du Programme Écuménique d'observation de la situation 
            en Afrique du Sud devraient servir de stimulant et d'encouragement.
          Cependant, quelle que soit l'importance 
            de ce genre d'initiatives et des efforts que l'on fait pour réduire 
            ou régler les conflits à leur tout premier stade, les communautés 
            chrétiennes et les Eglises, dans la majorité des cas, se 
            trouvent prises dans la dynamique des conflits violents. Au cours 
            des dernières années, on a vu apparaître une nouvelle 
            forme du ministère chrétien de réconciliation: il s'agit 
            de l'accompagnement des personnes ayant subi un traumatisme émotionnel 
            et psychologique à cause de la guerre, de la violence ou de la 
            torture. Les centres d'aide aux femmes violées dans l'ex-Yougoslavie, 
            le "Trauma Center" du Cap en Afrique du Sud et d'autres initiatives 
            semblables en faveur d'enfants victimes ou témoins d'atrocités 
            commises dans leur entourage immédiat, montrent qu'il est urgent 
            d'apporter un soutien spirituel, pastoral et psychologique aux victimes 
            de la guerre et de la violence. Ces blessures-là sont parfois 
            plus longues à guérir que les blessures physiques, mais 
            ce sont ces efforts de guérison qui sont les germes de la réconciliation 
            future.
          Dans toute situation de conflit, 
            la réconciliation est une tâche qui se poursuit même 
            après la cessation des hostilités. Elle présuppose 
            que l'on soit prêt à passer de l'affrontement ouvert et 
            souvent violent au dialogue. Cette phase de transition est la phase 
            la plus critique du processus de rétablissement de la paix. Les 
            événements des dernières années ont amplement 
            prouvé que les Eglises peuvent aider efficacement à préparer 
            la voie à une communication constructive entre les parties en 
            conflit. En Europe centrale et orientale, on a eu recours pendant 
            la phase de transition au modèle de la "table ronde" pour réunir 
            tous les groupes politiques et civils et les amener à s'interroger 
            ensemble sur l'avenir de leur société. Dans de nombreux 
            cas, des représentants d'Eglises ont été sollicités 
            pour présider ces tables rondes. Dans plusieurs pays africains, 
            les efforts de réconciliation ont redonné vie aux méthodes 
            traditionnelles de recherche d'un consensus et au rôle des anciens 
            de la grande famille ou de la tribu dans le règlement des conflits. 
            Tous ces exemples militent pour un changement de méthode: pour 
            que l'on passe d'un type de règlement des conflits où s'affrontent 
            vainqueurs et vaincus à un processus de coopération qui 
            garantit la participation équitable de toutes les parties engagées 
            dans un conflit ou risquant de l'être. Les Eglises possèdent 
            la tradition séculaire du règlement conciliaire des conflits, 
            et il y a là une richesse d'expériences que l'on devrait 
            pouvoir mettre à profit dans l'arène sociale et politique.
          Toute contribution active et 
            authentique des Eglises à la tâche de consolidation de la 
            paix exige qu'elles soient prêtes à reconnaître leurs 
            échecs, leur responsabilité et leurs fautes, afin de briser 
            le cercle vicieux des inimitiés et des préjugés. Cela 
            est d'autant plus vital qu'il y a aujourd'hui une tendance à 
            retomber dans les anciens schémas qui consistent à se faire 
            justice soi-même pour les injustices subies dans le passé 
            et à utiliser les Eglises pour légitimer les revendications 
            de pouvoir ethnique ou national. On connaît heureusement des 
            exemples où les Eglises ont joué un rôle majeur dans 
            la mise en place d'une culture de paix, notamment en Afrique du Sud. 
            Mais, souvent aussi, elles ont fait partie du problème, surtout 
            lorsqu'elles étaient étroitement liées aux aspirations 
            nationales ou qu'elles s'identifiaient à elles. Comment affirmer 
            sans cesse à nouveau que notre première allégeance 
            est à Jésus Christ et à tout le peuple de Dieu, refusant 
            le nationalisme qui souvent génère la xénophobie, le 
            racisme et les discriminations de toutes sortes? Les victimes elle-mêmes 
            peuvent devenir oppresseurs à leur tour.
        
        L'appel à la réconciliation 
          s'adresse à nous tous. Ici en Irlande du Nord, comme dans les autres 
          parties du monde représentées à cette rencontre, nous 
          savons combien cela est difficile. Les paroles de Jésus continuent 
          de nous interpeller, mais son interpellation est en même temps 
          promesse: "Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n'est pas 
          à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cÉur 
          cesse de se troubler et de craindre" (Jean 14, 27).