huitième assemblée et cinquantenaire

Faisons route ensemble
Rapport du secrétaire générale
Konrad Raiser



1. "A vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ" (Romains 1, 7). C'est par cette salutation apostolique que j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette Huitième Assemblée du Conseil cuménique des Eglises. Bienvenue à vous, qui, en qualité de délégués, représentez les quelque 330 Eglises membres du Conseil. La plupart d'entre vous avez accompli un long voyage pour venir à Harare. Pour beaucoup, il ne s'agit pas seulement de votre première rencontre avec l'Afrique, mais aussi de votre première participation à une réunion cuménique de cette importance. Puisse Dieu, par son Saint-Esprit, bénir nos rencontres, nos délibérations et nos décisions. Je salue ceux et celles d'entre vous qui sont ici en qualité de représentants délégués, d'observateurs, de conseillers et d'invités d'honneur, et qui nous font prendre conscience du contexte plus vaste du mouvement cuménique dont le COE est un élément essentiel. Je salue les nombreux visiteurs dont la présence nous rappelle que dans le monde entier, des millions de chrétiens accompagnent cette Assemblée par leurs pensées et leurs prières.

Enfin, je tiens à adresser un salut tout spécial aux représentants des Eglises du Zimbabwe, qui sont nos hôtes. A vous tous qui n'avez pas ménagé vos efforts ces derniers mois, voire ces dernières années, pour préparer cette manifestation, merci de votre dévouement et de l'hospitalité que vous nous accordez.

Une Assemblée d'anniversaire

2. Toutes les Assemblées du COE sont des manifestations d'importance, suscitant l'attention bien au-delà du cercle des Eglises chrétiennes, et cela est particulièrement vrai de cette Huitième Assemblée. Nous nous rencontrons cinquante ans après la Première Assemblée du COE à Amsterdam, en 1948. Au cours de 1998, ce "jubilé cuménique" a été célébré par de nombreuses Eglises du monde entier. Des manifestations spéciales ont eu lieu à Genève, mais aussi à Amsterdam, Evanston, La Nouvelle-Delhi, Upsal, Nairobi, qui ont accueilli les cinq premières Assemblées, à Toronto, Berlin, Buenos Aires, Johannesburg, villes où se sont tenues des sessions marquantes du Comité central, et dans bien d'autres villes encore. Une véritable "chaîne de prière pour Harare" a été formée par des centaines de milliers de chrétiens du monde entier. Nous voici rassemblés ici pour réaffirmer l'engagement conclu par les délégués de la Première Assemblée, lors de la constitution du COE, et pour nous engager, en communauté les uns avec les autres, à "répondre ensemble à [notre] commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit."

3. Il y a 50 ans, la création du COE fut un acte de foi. Le monde était en quête d'un nouvel ordre après les dévastations de la deuxième guerre mondiale et devait affronter les nouveaux conflits dus à la guerre froide ainsi que la menace nucléaire. Les Eglises, dont l'existence même et la fidélité avaient été mises à l'épreuve, devaient faire face à une tâche gigantesque de reconstruction et de réconciliation. Un "Appel aux Eglises au sujet de la Première Assemblée", publié en avril 1947 par le Comité provisoire du COE, avait invité tous les chrétiens à unir leurs prières afin que "Dieu se serve de la Première Assemblée pour faire renaître les Eglises et les amener à s'engager à nouveau, dans l'unité de la foi, à proclamer ensemble sa parole et à accomplir ses uvres parmi les nations". C'était la première fois qu'un conseil d'Eglises se constituait par-delà les limites nationales et confessionnelles, et nul ne savait si cette nouvelle structure serait viable. Dans son rapport à l'Assemblée, le secrétaire général Willem Adolf Visser 't Hooft décrivait comme suit l'objectif du Conseil: "Nous sommes un Conseil des Eglises, non le Conseil de l'Eglise indivise. Notre nom même accuse notre faiblesse et notre humiliation devant Dieu, car il ne doit y avoir, il n'y a en réalité, qu'une seule Eglise du Christ sur la terre. [ ] Notre Conseil représente, par conséquent, une solution temporaire, une étape; il se situe entre l'époque où les Eglises vivaient isolées les unes des autres et le moment où - sur la terre ou dans les cieux - il se révélera visiblement qu'il n'y a qu'un seul Berger et un seul troupeau."

4. Le thème de la Première Assemblée, "Désordre de l'homme et dessein de Dieu", fait écho à la doxologie qui ouvre l'épître aux Ephésiens: "Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement: réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre" (Ephésiens 1, 9-10). Comme Karl Barth le rappela à la Première Assemblée, c'est seulement à la lumière de ce dessein de Dieu en Christ qu'il est possible, honnêtement et sans vouloir nous justifier nous-mêmes, de discerner les causes profondes du désordre humain et la part de responsabilité qui en incombe aux Eglises et de s'attaquer à ces problèmes. La constitution du COE doit être comprise comme un acte de fidélité et d'obéissance à la volonté de Dieu révélée en Christ. Le message d'Amsterdam exprime cette affirmation dans son premier paragraphe: "Béni soit Dieu notre Père, et notre Seigneur Jésus Christ qui réunit en un seul corps les enfants de Dieu dispersés. Par lui rassemblés à Amsterdam, nous sommes un en le confessant Dieu et Sauveur. Nous n'ignorons cependant pas nos divisions: elles existent en matière de foi, d'ordre ecclésiastique et de tradition; notre orgueil national, notre orgueil de classe ou de race y ont aussi leur part. Mais Christ a fait de nous son peuple et, lui, n'est pas divisé. C'est en le cherchant que nous nous trouvons. Ainsi, à Amsterdam, en constituant le Conseil oecuménique des Eglises, nous avons contracté envers lui un nouvel engagement et nous sommes liés les uns aux autres. Nous sommes décidés à demeurer ensemble. Et nous appelons toutes nos paroisses et communautés chrétiennes à travers le monde à reconnaître le lien que nous avons noué et à le maintenir dans leurs relations mutuelles. Reconnaissants envers Dieu de ce qu'il nous a donné, c'est à lui que nous confions l'avenir."

5. Cinquante ans plus tard, cet engagement tient toujours. Beaucoup de choses ont changé dans les relations des Eglises entre elles. Les étrangers sont devenus des voisins, ceux que l'on traitait avec méfiance sont devenus des amis. Nous prenons de plus en plus conscience que les Eglises, malgré tout ce qui les sépare encore, font partie de l'unique famille élargie des enfants de Dieu. Alors qu'à ses débuts il rassemblait essentiellement des Eglises historiques protestantes et orthodoxes d'Europe et d'Amérique du Nord, le Conseil est devenu une véritable organisation mondiale. Il encourage le service et le témoignage communs des Eglises et, de nos jours, des Eglises du monde entier sont en relation les unes avec les autres grâce à un réseau oecuménique de partenariats très divers. Défendre la cause de la justice et de la dignité humaine, essayer de discerner et d'accomplir "aussi bien le ministère sacerdotal de réconciliation et le ministère prophétique du conflit libérateur", comme l'exprime M. M. Thomas, est un défi qui a parfois mis cette communauté à rude épreuve, et le Conseil n'en est pas toujours sorti sans quelques meurtrissures. Il est certain que l'engagement pris à Amsterdam de "demeurer ensemble" n'est pas allé de soi. C'est pourquoi nous pouvons et nous devons rendre grâces à Dieu d'avoir permis aux Eglises non seulement de demeurer ensemble, mais encore de progresser et de croître ensemble.

6. Pourtant, au moment où nous célébrons ce cinquantième anniversaire, une certaine incertitude se manifeste quant à l'objectif de la communauté du COE, ainsi que des doutes au sujet de l'avenir du mouvement cuménique dans son ensemble. Nous semblons être à la croisée des chemins. Diverses conceptions de l' cuménisme sont formulées, et il n'est pas toujours facile de discerner la voie à suivre. Certains sont déçus de voir que la recherche intensive de l'unité visible de l'Eglise n'a pas encore ouvert la voie à une koinonia authentique. Les conceptions de la mission chrétienne dans un monde marqué par le pluralisme religieux et culturel divergent profondément. La tradition de la pensée et de l'action sociales cuméniques a bien du mal à faire face aux effets de la mondialisation rapide sur la vie des communautés humaines. La fin de notre millénaire approchant, on a de plus en plus le sentiment que ces incertitudes cuméniques s'inscrivent dans un processus plus vaste de transition vers une nouvelle période de l'histoire dont les conditions seront très différentes de celles que l'on connaissait lors de la fondation du COE. Bien des Eglises ayant influencé la vie et le témoignage du Conseil au cours des décennies écoulées affrontent aujourd'hui des difficultés internes et cherchent avant tout à sauvegarder leur propre cohésion. En même temps, en bien des endroits, l' cuménisme local est en plein essor. Hors du cercle des Eglises du COE, la communauté chrétienne connaît des formes dynamiques de renouveau et de croissance. Qu'est-ce que cela implique pour l'avenir du Conseil?

Un jubilé cuménique

7. Lorsque le COE, il y a plus de quatre ans, décida d'accepter l'invitation des Eglises du Zimbabwe de tenir sa Huitième Assemblée à Harare plutôt que de répondre à la proposition des Eglises néerlandaises de retourner à Amsterdam, il entendait dresser un signe: il s'agissait de manifester que l'Assemblée du 50e anniversaire devait moins être un retour aux sources et une commémoration des décennies écoulées, avec les changements considérables qu'elles ont apportés dans le monde, les Eglises et le Conseil, que l'occasion de chercher à discerner les défis qu'affronte aujourd'hui le mouvement cuménique et de tourner nos regards vers le 21e siècle. L'avenir du christianisme et du mouvement cuménique sera vraisemblablement déterminé davantage dans des régions comme l'Afrique et l'Amérique latine que sur les terres du christianisme historique, dans l'hémisphère Nord. D'ici aux premières décennies du 21e siècle, l'Afrique promet d'être le continent abritant la plus vaste population chrétienne. En même temps, c'est en Afrique que le désordre du système mondial actuel, ainsi que l'exclusion et l'éclatement de sociétés entières se manifestent de la manière la plus frappante. La période des luttes de libération africaines, dans les années 70, a coïncidé avec l'une des phases les plus conflictuelles de l'histoire du COE. Le souvenir de la crise occasionnée en 1978 par le don accordé au Front patriotique du Zimbabwe/Rhodésie est encore vivace. La décision de nous rendre à Harare pour notre Huitième Assemblée exprimait notre détermination à ne pas faiblir dans notre solidarité avec les Eglises et les populations africaines dans leur recherche de nouvelles bases pour affirmer leur identité et réinstaurer des modes de vie communautaire viables. Dans ses Lignes directrices pour les activités du COE en Afrique, le Comité exécutif du COE, en février 1995, affirme: "Alors que les Eglises et les peuples africains luttent pour élaborer une nouvelle culture sociale et politique, le mouvement cuménique est mis au défi d'encourager l'espérance et la vision d'une communauté humaine viable pour tous les habitants de l'Afrique." Cela signifie que notre Assemblée de Harare devra être très attentive à ce que Dieu veut nous dire par la voix de l'Afrique actuelle.

8. C'est dans cette perspective qu'a été formulé le thème de l'Assemblée: "Tournons-nous vers Dieu dans la joie de l'espérance." Dans une situation où prédominent le désordre et la résignation, ces mots réaffirment la fidélité de Dieu, déjà exprimée dans le thème de l'Assemblée d'Amsterdam. Le Dieu vers lequel nous sommes invités à nous tourner n'est pas le juge et le maître inaccessible de la destinée humaine, mais le Dieu de l'alliance avec Noé, Abraham et Moïse, qui s'est tourné vers nous en Jésus Christ, pour nous offrir à tous la réconciliation et la plénitude de vie. "Tournons-nous vers Dieu" est une invitation à faire confiance à sa fidélité au milieu de la confusion et des incertitudes de notre époque; à découvrir la face aimante de Dieu, tournée vers nous dans le Christ crucifié et ressuscité; à édifier notre vie sur la confiance dans cette fidélité voilà ce que le Nouveau Testament appelle la metanoïa, dans sa double signification: conclure une alliance solide et se détourner des fausses soumissions.

9. Dans son épître aux Romains, l'apôtre Paul décrit de manière vivante la dynamique de ce processus de réorientation: "Je vous exhorte donc, frères et soeurs, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu: ce sera là votre culte spirituel. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait" (Romains 12, 1-2). Paul poursuit en soulignant que cette transformation ne demeure pas une expérience personnelle intérieure, mais qu'elle s'exprime dans le renouveau de la vie de la communauté. Se référant à l'image du corps et de ses membres, il esquisse le portrait d'une communauté chrétienne qui vit de son engagement envers Dieu. Parmi les nombreuses exhortations qu'il formule, nous trouvons celle qui a inspiré notre thème: "Soyez joyeux dans l'espérance" (Romains 12, 12). C'est ce message d'espérance que le Comité central souhaitait voir proclamé par l'Assemblée, tout en réaffirmant implicitement le thème de la Deuxième Assemblée d'Evanston en 1954: "Le Christ, seul espoir du monde". De manière fort légitime, des voix se sont élevées pour demander si cette invitation à la joie de l'espérance était appropriée, au regard de la situation actuelle de l'Afrique et du monde entier. Mais comme l'a affirmé la Commission de Foi et constitution à Bangalore en 1978 dans son "Affirmation commune d'espérance", "l'espérance chrétienne est un mouvement de résistance contre le fatalisme". La séance plénière de ce matin consacrée au thème de l'Assemblée nous a déjà rappelé le vibrant témoignage d'espérance sur lequel s'ouvre la première épître de Pierre: "Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ: dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus Christ d'entre les morts. [ ] Aussi tressaillez-vous d'allégresse même s'il faut que, pour un peu de temps, vous soyez affligés par diverses épreuves, afin que la valeur éprouvée de votre foi [ ] obtienne louange, gloire et honneur lors de la révélation de Jésus Christ" (1 Pierre 1, 3-7).

10. Nous sommes assemblés pour célébrer un "jubilé cuménique". Le thème de la Huitième Assemblée a été choisi pour exprimer cette notion de jubilé, qui constitue l'une des plus fortes images d'espérance de toute la tradition biblique. Jésus s'y réfère dans le premier sermon qu'il prononça à Nazareth. S'inspirant d'un passage du prophète Esaïe, il proclama "une année d'accueil par le Seigneur", une année de grâce et de libération (Luc 4, 19). La proclamation de l'année du jubilé fait partie du Code de sainteté exposé dans le livre du Lévitique (Lévitique 25). Après sept cycles d'années sabbatiques, la cinquantième devait être célébrée comme une année de jubilé. Après sept intervalles d'environ sept ans entre nos Assemblées, nous nous trouvons dans la cinquantième année du COE, année du jubilé cuménique. Mais que signifie cette notion de "jubilé cuménique"? Plusieurs propositions cuméniques en vue de remettre la dette extérieure des pays les plus pauvres d'ici l'an 2000 s'inspirent du message biblique. Un tel acte serait certainement approprié, puisque la remise des dettes occupe une grande place dans la tradition biblique du jubilé et que le problème de la dette internationale figure à l'ordre du jour de la Huitième Assemblée. Pourtant, le message du jubilé biblique va au-delà d'une question brûlante de justice sociale, économique et politique.

11. Historiquement parlant, l'année du jubilé devrait être conçue comme une réappropriation et une réinterprétation de la tradition biblique de l'année sabbatique. Au cours de ces années, on laissait le sol en jachère afin que la terre se repose, ainsi que les animaux domestiques et les serviteurs. Les esclaves devaient être libérés et les dettes remises. Tout cela s'intègre dans la tradition du jubilé, mais celui-ci va plus loin que l'année sabbatique. Au cours de l'année du jubilé, tous devraient avoir la possibilité de revenir sur la terre de leurs pères. Dans le contexte de la reconstruction de la communauté après l'exil de Babylone, le jubilé offrait aux familles et aux membres de la communauté tout ce dont ils avaient besoin pour subsister. En outre, comme on le lit dans Lévitique 25, 8-9, le jubilé devait être proclamé au son du cor au jour du Grand pardon, jour où la communauté juive demande à être libérée de ses péchés et réconciliée avec Dieu et avec autrui. Le message du jubilé est donc un message de réconciliation, étendant l'acte de libération du Grand pardon à toute une année. Dans leur ensemble, ces dispositions relatives au jubilé décrivent des éléments essentiels de l'alliance. A intervalles réguliers les situations d'injustice, d'exclusion et d'asservissement résultant inévitablement de la distorsion des structures sociales et économiques devaient être redressées. Le jubilé est destiné à briser l'engrenage de la domination et de la dépendance car il permet de proclamer la réconciliation et la libération et d'imposer à chacun une limite à l'exercice de son pouvoir. Ceux qui ont en main les éléments essentiels de la vie économique la terre, la main-d' uvre et les capitaux doivent limiter leur pouvoir, ou même y renoncer, rendant ainsi aux défavorisés et aux exclus les conditions de base d'une vie dans la dignité. Les possédants doivent pratiquer la même générosité et la même justice que Dieu manifeste dans l'acte du pardon, de la réconciliation.

12. Jésus résume ainsi son interprétation du message du jubilé: "Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez" (Luc 4, 21). En Jésus, l'offre de réconciliation de Dieu, la proclamation du jubilé final de son règne, ont été accomplies. A travers sa vie et sa mort, il nous a donné l'exemple en renonçant à son pouvoir et à sa condition d'égal de Dieu et en se faisant homme afin d'ouvrir, au coeur de notre histoire humaine, l'espace de réconciliation qui nous permettrait de jouir de la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Si tel est le sens du message du jubilé contenu dans la proclamation de Jésus, alors il est véritablement un message de joie et d'espérance aussi pour le mouvement oecuménique. Depuis le début de ce siècle, les Eglises cherchent comment rétablir l'unité et la communion du peuple de Dieu, pour répondre à la prière de notre Seigneur "que tous soient un". Elles se sont efforcées de rétablir et de réparer les relations entre les membres dispersés du peuple de Dieu, relations qui ont été déformées par la condamnation mutuelle, par la haine, les préjugés et l'exclusion et, plus grave encore, par les revendications de pouvoir et de contrôle sur l'accès au salut, à la plénitude de vie.

13. Le jubilé oecuménique est donc en tout premier lieu un appel à la conversion, à la repentance et à un examen de conscience, conduisant à reconnaître la faute accumulée et la coresponsabilité dans la division du corps du Christ. Tournez-vous vers Dieu en Christ: c'est l'invitation qui est adressée à toutes les Eglises de renoncer à leur attitude défensive et à leur autosatisfaction pour se tourner vers la source et le centre de leur unité: le Christ, crucifié et ressuscité. En deuxième lieu, le jubilé oecuménique est une invitation à célébrer l'offre de réconciliation de Dieu et à affirmer l'unité redécouverte et restaurée par l'action de l'Esprit Saint dans le mouvement oecuménique. Aujourd'hui, nous pouvons dire que ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous sépare encore. Nous nous reconnaissons à nouveau les uns les autres comme membres d'une même famille, comme membres de la famille de Dieu, différents certes, mais unis par des liens. En troisième lieu, le jubilé oecuménique est un message d'espérance, non seulement pour la communauté chrétienne mais aussi pour le monde, au seuil d'un nouveau siècle et d'un nouveau millénaire. Dans ce monde asservi aux forces de la concurrence, de la domination et de l'exclusion, l'espérance demeure vivante parce que la voie de la réconciliation et d'une vie communautaire tournée vers l'avenir a été ouverte en Christ. En sa présence, et par son pouvoir qui guérit et rend à chacun l'intégrité de son être, nous recevons la libération et le pardon. Dans l'esprit du jubilé oecuménique, nous sommes appelés à devenir des communautés porteuses d'espérance, marchant dans les pas de celui qui a renoncé à sa revendication du pouvoir, qui a partagé et a donné sa vie, créant ainsi l'espace où nous pouvons connaître la plénitude de vie, celui qui a accueilli les étrangers, les exclus, les démunis et les pauvres et qui les a rétablis dans leur dignité comme membres à part entière de la communauté. Suivre le Christ, telle est, à la veille du 21e siècle, notre vocation oecuménique.

Ouvrir un espace oecuménique

14. Mais sommes-nous prêts à célébrer ce jubilé oecuménique ? Sommes-nous prêts à nous tourner vers Dieu, à recevoir son offre de réconciliation et, ainsi, à nous libérer des chaînes institutionnelles qui nous empêchent de vivre complètement la koinonia dont nous affirmons qu'elle est le don de Dieu en Jésus Christ? Les règles du jubilé devaient servir à guider le peuple juif dans sa tâche de reconstruction d'une communauté viable après la fin de l'exil babylonien. Quelle inspiration, quelles indications sur la voie à prendre, pouvons-nous puiser dans la tradition du jubilé pour rétablir la communion entre les Eglises séparées? Quelles sont la place et la tâche du COE dans ce contexte? N'est-il pas devenu lui-même prisonnier d'un carcan institutionnel dont il a besoin d'être libéré? Est-il toujours un instrument au service du mouvement oecuménique et des Eglises dans leur cheminement commun, ou est-il devenu une institution à part, qui poursuit ses objectifs propres? Comment le COE peut-il ouvrir et créer l'espace dans lequel la communion pourra grandir et la réconciliation avoir lieu ?

15. L'un des principaux héritages que l'Assemblée de Canberra a laissé au nouveau Comité central a été la réflexion entamée en 1989 sur la conception et la vision communes du COE. Le Comité central a poursuivi cette étude et, en 1995, a décidé d'en soumettre les résultats à la Huitième Assemblée. Ceux-ci sont présentés sous la forme d'un document d'orientation générale, qui a été adopté par le Comité central lors de sa dernière session en septembre 1997. Ce document, reproduit dans le Guide de travail de l'Assemblée, a bénéficié des propositions de nombreuses Eglises membres. Dans sa forme actuelle, il constitue ni plus ni moins qu'un exposé honnête présenté par le Comité central, principal organe directeur du COE entre les Assemblées, de la vocation du Conseil à ce stade du développement du mouvement oecuménique. En votre qualité de délégués des Eglises membres à l'Assemblée, vous êtes aujourd'hui invités à réagir à ce texte sur la conception et la tâche du COE, et à en définir les implications.

16. Comme vous l'aurez constaté en étudiant le document, celui-ci ne propose pas une conception radicalement nouvelle du COE. Bien plutôt, il cherche à offrir une interprétation actuelle de la définition que le Conseil a donnée de lui-même dans la Base constitutionnelle et dans d'autres textes fondateurs, en particulier la Déclaration de Toronto de 1950. Dans ces premiers textes, le Conseil est avant tout caractérisé comme une "communauté fraternelle d'Eglises". Si l'expression "communauté fraternelle" est comprise de diverses manières, sa mention dans la Base semble suggérer clairement "que le Conseil est davantage qu'une simple association d'Eglises au rôle purement fonctionnel, mise sur pied pour organiser des activités dans des domaines d'intérêt commun" (CVC, par. 3.2). Reconnaissant que l'existence du COE en tant que communauté fraternelle d'Eglises lance à celles-ci un "défi ecclésiologique", le document CVC offre un certain nombre d'affirmations destinées à clarifier le sens et l'étendue de la communion que ces Eglises vivent au sein du Conseil. A bien des égards, ces affirmations rappellent ce que j'ai dit plus haut au sujet d'un "jubilé oecuménique". La communauté qui unit les Eglises n'est pas le résultat d'un acte volontariste de leur part. Elle a son centre dans leur engagement commun à Christ. C'est en se tournant ensemble vers Dieu en Christ que les Eglises découvrent la communion qui existe entre elles. La communauté fraternelle n'est donc pas seulement le résultat d'un accord institutionnel entre des organismes ecclésiastiques constitués et entre leurs responsables, "mais c'est une réalité dynamique et relationnelle qui englobe les Eglises comme manifestations du peuple de Dieu dans toute leur plénitude. Elle n'est pas une fin en soi mais elle existe pour servir en tant que signe et instrument de la mission et de l'action de Dieu dans le monde. On peut donc dire du COE qu'il est une communauté d'Eglises à la fois missionnaire, diaconale et morale" (3.5.3). Le sens de cette communauté réside précisément dans le fait qu'elle ouvre l'espace où la réconciliation et la responsabilité mutuelle peuvent devenir réalité, et où les Eglises peuvent apprendre ensemble à cheminer sur la voie d'un engagement oecuménique coûteux: "Elles s'engagent à reconnaître leur solidarité les unes à l'égard des autres, à s'assister mutuellement en cas de besoin, à s'abstenir de tout acte incompatible avec le maintien de relations fraternelles, à établir des relations spirituelles en vue de leur enrichissement mutuel, à prendre conseil les unes des autres, 'pour discerner le témoignage que le Seigneur Jésus Christ les appelle à rendre dans le monde en son nom' (Déclaration de Toronto)" (3.5.6).

17. Cette conception relationnelle du Conseil en tant que communauté fraternelle d'Eglises situe la question de sa structure et de son profil institutionnel dans un contexte plus vaste et plus approprié du point de vue théologique. En cela, elle est en accord avec les affirmations de la Cinquième Conférence mondiale de Foi et constitution (Saint-Jacques-de-Compostelle 1993) sur "La conception de la koinonia et ses implications" (Rapport de la Section I). Considérant la koinonia à la fois comme don gratuit de Dieu et comme vocation des Eglises, les auteurs du rapport utilisent l'image du pèlerinage pour décrire l'acte de la metanoïa ou de la conversion. Ce mouvement constant de la metanoïa est une illustration particulièrement éloquente du caractère relationnel de l'Eglise. Etre en relation, c'est être prêt à s'exposer à l'altérité de l'autre, à se laisser changer par la rencontre avec l'autre. C'est aussi accepter les peurs et les angoisses que toute rencontre suscite en nous. Cette interprétation éclaire ce que j'ai dit précédemment au sujet de l'invitation "à nous tourner vers Dieu", perçue comme un appel à la metanoïa, et au sujet du "jubilé oecuménique" compris comme un appel à chacun à limiter son pouvoir. "La rencontre avec l'autre dans la recherche de la koinonia, fondée sur le don de Dieu, appelle à une kénose, à un don de soi, un dépouillement. Cette kénose suscite la peur de perdre son identité et nous invite à accepter d'être vulnérables, mais ce n'est là qu'être fidèle au ministère de Jésus dans sa vulnérabilité et sa mort, lui qui cherchait à rassembler tous les êtres humains dans la communion avec Dieu, et les uns avec les autres. Il est le gardien et le modèle de la réconciliation qui conduit à la koinonia. En tant qu'individus et communautés, nous sommes appelés à instaurer la koinonia par le ministère de la kénose" (par. 20).

18. Quand nous envisageons le Conseil, communauté fraternelle d'Eglises, dans la perspective de la dynamique de la koinonia, sans cesse en marche, que les Eglises cherchent à manifester, nous prenons conscience du coût particulièrement élevé de l'engagement que requiert cette communauté. Il doit être constamment nourri et régénéré alors que les Eglises s'efforcent d'accomplir leur vocation commune, d'autant plus quand elles sont appelées à rendre un témoignage prophétique et un service commun dans le monde. Dans le cadre de l'étude du COE sur le thème "ecclésiologie et éthique", on a continué à développer les perspectives de la Conférence mondiale de Foi et constitution, la démarche oecuménique "Justice, paix et sauvegarde de la création", et les travaux entrepris précédemment pour établir le lien entre l'être de l'Eglise et son caractère de signe prophétique dans le monde. On a examiné en outre la manière d'être dans le monde (ethos) de l'Eglise en tant que koinonia telle qu'elle s'exprime dans la liturgie, en particulier dans les sacrements du baptême et de l'eucharistie. On a étudié avec une attention particulière la formation de la conscience spirituelle et morale et le discernement à travers lesquels la koinonia est générée et recréée. Ces réflexions ont conduit à une suggestion importante: celle de percevoir l'oikoumene comme un "champ énergétique" de résonance et de reconnaissance mutuelles suscité par l'Esprit Saint. "Le fait de choisir la résonance et la reconnaissance comme métaphores nous permet de reprendre une image biblique de la littérature johannique ... Les brebis connaissent la voix du Berger (Jean 10, 3; cf. Apocalypse 3, 20) ... Vivre en disciple, c'est écouter la voix, c'est être attiré, modelé par elle: non pas seulement par le son de cette voix, mais aussi par la teneur de son message, par l'intonation authentique d'une manière de parler qui nous façonne, témoignant d'une manière reconnaissable d'être dans le monde, même si cette manière d'être revêt de multiples formes ... Au centre de la reconnaissance mutuelle, il y a le fait que l'autre communauté s'engage dans ses actes de manière analogue à la nôtre, et que notre propre engagement est analogue à celui de l'autre. L'analogie existe parce que nous partageons un même modèle de pratique morale dans l'Esprit, par lequel nous sommes reconnaissables. Les gens ... reconnaissent que les autres 'ont le même esprit' ... Cette reconnaissance est globale, en ce sens qu'elle n'inclut jamais seulement l'élément doctrinal ou l'élément juridictionnel, mais ces deux éléments à la fois. Elle est reconnaissance d'une réalité vécue: le sentiment d'une communion au niveau éthique. C'est ce que signifie l'oikoumene." (Costly Obedience, par. 90 et s.).

19. Les auteurs de ce document poursuivent en interprétant le Conseil comme étant l'"epace" qui délimite la possibilité d'une telle communion de reconnaissance et de résonance mutuelles. Bien que n'étant pas lui-même cette communion à dimension éthique, "le Conseil est une communauté d'Eglises qui prie pour recevoir les dons spirituels dont aura besoin cette communion pour rendre un témoignage éthique" (par. 99). "Le COE doit marquer, maintenir et être, même, un espace où la communion à la fois ecclésiale et éthique ... peut trouver expression, où l'on est constamment à la recherche du langage qui permet d'exprimer la réalité plus pleinement, où l'on conçoit des actions communes qui incarnent le témoignage éthique nécessaire, et où a lieu une formation oecuménique qui donne à ce témoignage une densité et une plénitude croissantes" (par. 102). Cette conception du COE a inspiré le Programme "théologie de la vie". Les responsables de ce programme ont abordé les dix affirmations du Rassemblement de Séoul sur la justice, la paix et la sauvegarde de la création (1990) comme "la définition préliminaire du cadre et de l'espace dans lesquels il est possible d'édifier des relations de confiance. Ces affirmations ne sont pas des déclarations confessionnelles ni des critères permettant de juger de l'hérésie de telle ou telle position. Bien plutôt, il faut les considérer comme des mesures de notre responsabilité mutuelle, des principes permettant de régler les conflits d'interprétation dans le dialogue oecuménique et de collaborer dans des contextes radicalement différents" (Martin Robra dans The Ecumenical Review 1996/1, 35). La Conférence du Sokoni, tenue à Nairobi en janvier 1997, qui était organisée sur le modèle du marché du village africain, lieu de communication et d'échanges de la communauté, a permis de faire l'expérience concrète de cet espace oecuménique. Tel est également l'objectif du Padare, qui constitue un espace ouvert, bien que protégé, au sein de cette Assemblée.

20. Ainsi, la notion d'"espace oecuménique" élargit la conception que nous avons du COE comme d'une communauté fraternelle d'Eglises. En fait, cette notion a déjà été utilisée dans de précédents débats oecuméniques sur la communauté conciliaire. La Déclaration de la Commission de Foi et constitution sur la "conciliarité et l'avenir du mouvement oecuménique" (1971) affirmait ceci: "... si l'unité de l'Eglise veut servir l'unité de l'humanité, elle doit pouvoir accueillir une large variété de formes tout aussi bien que de différences, et même des conflits... L'unité de l'Eglise doit être de nature telle qu'elle offre assez de place à la diversité et à la confrontation mutuelle ouverte d'intérêts et de convictions divergents" (Rapport de Louvain, pp. 413-414. C'est l'auteur qui souligne). Au cours de discussions qui ont eu lieu plus récemment dans le cadre de Foi et constitution, on a émis l'idée que la notion d' "espace oecuménique" pourrait faire progresser le débat doctrinal sur le ministère des évêques. "Vivre dans des espaces ouverts" est le titre du rapport d'un colloque qui a été organisé en 1995 par plusieurs programmes éducatifs du COE en vue d'étudier des modèles pédagogiques possibles, qui apprendraient aux gens à vivre dans des espaces ouverts, à accepter la diversité, à élargir leurs horizons et à garder vivante leur espérance. Les auteurs de ce rapport renvoient à la notion de "société civile" qui, selon eux, délimite un espace, distinct des structures politiques et économiques de l'Etat et du marché, et où se construit une communauté authentique. Nous pourrions dire également que la Décennie oecuménique de la solidarité des Eglises avec les femmes a plaidé de manière éclatante pour l'espace qu'il est indispensable d'ouvrir si l'on veut que l'Eglise soit une communauté véritablement accueillante à tous. Enfin, la discussion oecuménique sur la sauvegarde de la création nous a amenés à reconnaître que la terre est l'espace que le Créateur a offert à toutes les créatures vivantes pour qu'elles vivent ensemble dans des communautés tournées vers l'avenir. Le septième jour de la création, le sabbat divin, où Dieu s'est reposé de toute l'oeuvre de la création, ouvre l'espace où la vie pourra croître et s'épanouir. Faisant écho à la tradition rabbinique, Larry Rasmussen affirme que "c'est le sabbat, et non pas la domination, qui symbolise la juste relation des êtres humains avec le reste de la nature et de toute la création, ainsi qu'avec le Créateur. En vérité, c'est le sabbat, et non pas la création de l'être humain, qui est le couronnement du récit même de la création ..." (L. Rasmussen, Earth Community, Earth Ethics, Genève 1996, p.232). En ce sens, le sabbat et l'année du jubilé doivent fournir l'espace nécessaire à la reconstruction périodique de la vie communautaire.

21. Tout cela nous rappelle l'exhortation prophétique: "Elargis l'espace de ta tente, les toiles de tes demeures, qu'on les distende ! Ne ménage rien ! Allonge tes cordages et tes piquets, fais- les tenir" (Esaïe 54, 2). Ces mots pourraient insuffler une vie nouvelle à la communauté des Eglises au sein du COE. Aujourd'hui, cependant, de nombreuses Eglises, accaparées par des problèmes internes ou extérieurs, se retranchent derrière des lignes de défense confessionnelles et institutionnelles. Les partenariats oecuméniques avec d'autres Eglises en restent trop souvent au stade de la forme, débouchant rarement sur la rencontre de deux réalités vivantes. A mesure que le partage des ressources est de plus en plus confié à des professionnels, les liens oecuméniques de solidarité s'affaiblissent. Beaucoup perçoivent le Conseil oecuménique des Eglises comme une institution purement fonctionnelle dont l'efficacité doit se mesurer par comparaison avec les nombreuses autres organisations internationales non gouvernementales spécialisées. D'autres estiment que le COE ajoute aux problèmes et aux pressions que les Eglises affrontent en leur imposant des prises de position et des lignes d'action qui entrent en conflit avec leurs traditions ecclésiales. Même le fait de concevoir le Conseil comme une communauté dont les membres sont "comptables les uns aux autres" peut être perçu comme une chose imposée qui ne respecte pas l'intégrité des Eglises membres. Compte tenu de tous ces éléments, je pense que les notions de "pèlerinage" et d' "espace oecuménique" peuvent contribuer à renforcer notre conception du Conseil comme communauté fraternelle d'Eglises. Dans l'incertitude de la situation actuelle, où la tentation est forte d'envisager l'identité de manière défensive et exclusive, le mouvement oecuménique doit recouvrer la notion du peuple pèlerin de Dieu, des Eglises qui cheminent ensemble, prêtes à franchir les frontières de leur histoire et de leur tradition, écoutant ensemble la voix du Berger, entrant en résonance les unes avec les autres et se reconnaissant mutuellement comme étant vivifiées par le même Esprit. Le COE comme communauté fraternelle d'Eglises marque l'espace où cette rencontre pleine de risques peut avoir lieu, où les relations de confiance peuvent s'établir et la communauté grandir. Actuellement, cette conviction est sérieusement ébranlée par les conflits qui surgissent autour de questions morales, en particulier en ce qui concerne la sexualité humaine, et par les défis ecclésiologiques et théologiques que lance la Décennie oecuménique de la solidarité des Eglises avec les femmes. Plus que jamais auparavant, nous avons besoin d'un COE qui soit un espace oecuménique ouvert, tout en étant saisi tout entier par la fidélité de Dieu et protégé par le lien de la paix, un espace d'acceptation et de compréhension mutuelles, mais aussi d'interpellation et de correction réciproques.

22. La communauté fraternelle des Eglises au sein du COE n'est pas une fin en soi. Elle existe pour servir en tant que signe et instrument de la mission de Dieu dans le monde. En nous appuyant sur la notion d'espace oecuménique, nous avons défini la "communauté fraternelle" comme un espace où "les Eglises peuvent s'interroger sur ce que veut dire être ensemble une communauté en marche vers une plus grande unité en Christ" (CVC, par. 3.5.4). En soi, cependant, cet espace ainsi défini reste inscrit dans la perspective d'un oecuménisme limité aux relations des Eglises entre elles. C'est la raison pour laquelle il sera nécessaire d'ouvrir cet espace oecuménique aux préoccupations du monde. Dans son analyse des réactions des Eglises à l'étude CVC, Peter Lodberg déclare: "Le COE est un sanctuaire dans un monde divisé" ( in The Ecumenical Review 1998/3, p. 276). Un sanctuaire est un lieu de refuge pour l'étranger; il offre l'hospitalité aux sans-abri. Réfléchissant à la quête de sens spirituel et au regain du religieux auxquels on assiste un peu partout aujourd'hui, Lewis Mudge pense que la communauté chrétienne - et, par implication, aussi la communauté oecuménique des Eglises - "peut offrir l'hospitalité à l'étranger d'un point de vue matériel, mais aussi d'un point de vue spirituel: un refuge de sens à ceux et celles qui, pour de nombreuses raisons - intellectuelles, religieuses, politiques - sont incapables de confesser la source de ce sens" (Lewis Mudge, The Church as a Moral Community, Genève 1998, p. 82). Parfois, les Eglises, au sein de la communauté oecuménique qui les rassemble, ont véritablement offert à la communauté séculière l'espace nécessaire à une réflexion plus approfondie sur les dimensions morales et spirituelles de la justice et de l'injustice, de la réconciliation, des droits de la personne humaine et de la construction de la paix. Comme le dit Lewis Mudge: "Les Eglises peuvent et doivent offrir une sorte d'espace métaphorique dans le monde à ceux qui, croyants ou non, sont convaincus que la société humaine peut surmonter sa violence originelle, son ressentiment et sa méfiance permanente, et parvenir à accomplir sa véritable vocation, celle de devenir la communauté bien-aimée décrite dans les textes bibliques. Les Eglises existent pour maintenir ouvert un espace social dans lequel les structures et les pratiques existantes de la société peuvent être perçues pour ce qu'elles sont, et dans lequel les relations au sein de la communauté humaine peuvent trouver une expression nouvelle, un espace où les métaphores de la vie commune peuvent être confrontées à leur dimension transcendantale" (loc.cit. p. 112).

Au-delà du cercle des membres du COE?

23. Dans le document CVC, on souligne que le COE est une "communauté fraternelle d'Eglises" qui a une structure et une organisation mais qu'il ne doit pas être identifié à cette structure. Cependant - en partie en réaction à ce document lui-même - une nouvelle discussion a surgi précisément au sujet du caractère institutionnel du COE en tant qu'organisation composée d'Eglises membres. Dans son bref exposé des implications de la qualité de membre de cette organisation, le document CVC s'inspire d'un texte précédent adopté par le Comité central en 1996 (cf. "The Meaning of Membership", in Central Committee Minutes 1996, pp. 184-187 - traduction française: document no 5.6). Quand un projet de ce texte a été envoyé aux Eglises membres pour commentaires, seules très peu d'entre elles ont réagi. Rétrospectivement, il apparaît clairement qu'une définition de la qualité de membre qui s'inspire de la notion biblique du corps - en d'autres termes, les Eglises au sein de la communauté sont membres les unes des autres - ne se réconcilie pas aisément avec la notion de membre d'une organisation. De nombreuses Eglises semblent surtout envisager leur appartenance au Conseil dans le sens d'une participation, d'une représentation, d'une influence au niveau de la prise de décisions - cela revenant à "s'approprier l'organisation". La qualité de membre, certes, implique des droits et des privilèges, mais elle comporte aussi des responsabilités et des devoirs. Dans le document CVC, il est question beaucoup plus longuement des responsabilités des membres que de la question des droits de participation et de représentation. Un premier projet du document CVC comportait une section sur les implications institutionnelles de cette conception du COE, en particulier pour ses organes de direction; mais le Comité central a estimé que ces propositions nécessitaient une réflexion plus approfondie et devraient donc être traitées à part. Actuellement, ce sont précisément ces questions qui sont au centre du débat.

24. En particulier, des questions fondamentales ont été soulevées par les Eglises orthodoxes. Lors d'une réunion à Thessalonique au début de cette année, ces Eglises ont réclamé une "restructuration radicale" du Conseil, faisant apparemment de la réalisation de cet objectif une condition au maintien de leur participation à la vie et aux activités du COE. La signification de l'"appartenance" au Conseil est au centre de leur débat. Actuellement, l'adhésion au Conseil est fondée sur l'identité institutionnelle des Eglises en tant qu'organisations autonomes, pour la plupart nationales. La Constitution et le Règlement du COE - en accord avec la Déclaration de Toronto de 1950 - laissent ouverte la question ecclésiologique de ce que constitue une Eglise. Une Eglise, pour pouvoir devenir membre du Conseil, doit donner son accord explicite à la Base et "prouver l'autonomie permanente de sa vie et de son organisation". Elle doit reconnaître "l'interdépendance essentielle des Eglises, en particulier de celles qui appartiennent à la même confession. Elle doit entretenir des relations oecuméniques constructives avec d'autres Eglises dans son pays ou sa région". En plus de satisfaire à ces critères, l'Eglise membre candidate doit compter 25 000 membres au moins (10 000 dans le cas d'une Eglise membre associée). Ces dispositions relatives à l'"appartenance" au Conseil n'indiquent pas comment doit agir le Conseil si une Eglise membre connaît un schisme, ou si deux Eglises membres ou plusieurs s'unissent ou concluent un accord en vue de leur pleine communion. Le fait que la plupart des Eglises membres de la tradition protestante vivent aujourd'hui dans une situation (du moins de facto) de pleine communion les unes avec les autres soulève la question de savoir comment cela peut se refléter de manière plus appropriée dans leur statut de membre du COE.

25. Depuis plus de vingt ans, les Eglises orthodoxes expriment leur préoccupation devant le fait que le COE ne cesse d'accueillir, parmi ses membres, de nouvelles Eglises dont la plupart sont de tradition protestante, tandis que le nombre des Eglises orthodoxes n'a pratiquement pas changé et ne changera sans doute pas. Les structures actuelles les enferment dans une situation minoritaire. En conséquence, elles ne peuvent exercer qu'une influence limitée sur les orientations des programmes et les décisions des organes directeurs du COE. Soulignant qu'elles représentent l'une des deux grandes traditions chrétiennes - orthodoxe et protestante - qui forment ensemble le Conseil et que le nombre total de leurs fidèles correspond à au moins un tiers du total des fidèles de toutes les Eglises membres du COE, elles demandent que l'on réexamine les structures du Conseil et ses modes de direction. Le fait de leur accorder un quota de sièges au sein des organes directeurs (actuellement 25 %), parallèlement aux quotas réservés aux laïcs, aux femmes, aux jeunes, etc., ne résout pas, à leur avis, le vrai problème. Elles mettent également en question les dispositions du Conseil réglant les débats et la prise des décisions, qui suivent le modèle parlementaire du système majoritaire. Respectant leur ferme conviction selon laquelle les questions qui touchent à la conception ecclésiologique d'une Eglise ne peut pas et ne doit pas être décidée par un vote majoritaire, le Conseil a ajouté un article à son Règlement (XVI.6.b) autorisant la discussion de ces questions en séance délibérante, sans vote. Récemment, cependant, elles ont soulevé la question plus fondamentale de savoir ce que cela signifie de continuer à faire partie d'une organisation dont l'ordre du jour est dicté par des préoccupations souvent étrangères, non seulement à leur conception ecclésiologique, mais aussi à leur esprit et à leur culture. Ne désirant pas mettre en question leur engagement et leur coresponsabilité à l'égard du mouvement oecuménique, auquel elles ont participé dès le début, les Eglises orthodoxes demandent si le statut de membre de l'institution, avec les implications et les responsabilités qui en découlent et qui sont définies dans le document CVC, est la seule manière d'être reconnu comme partenaire oecuménique. Certaines ont fait observer que l'Eglise catholique romaine jouit de larges possibilités de participation en sa qualité de partenaire essentiel dans des programmes et des activités du COE sans, toutefois, assumer les responsabilités liées au statut de membre.

26. Ces questions mettent en évidence le fait que le profil institutionnel du COE, son "esprit", ont été façonnés essentiellement par le modèle des assemblées et des synodes des Eglises protestantes historiques qui ont adopté le mode de décision parlementaire propre aux pays dotés de constitutions démocratiques. Et en effet, la participation des personnes aux décisions qui touchent leur vie a été un critère que le Conseil a toujours défendu avec vigueur. Ce faisant, il a ouvert sa vie à l'influence de groupes d'intérêt concernant nombre de questions importantes. Si de nombreuses Eglises jugent cette manière de faire appropriée, il s'agit là essentiellement d'un modèle emprunté à la vie politique et qui n'est pas nécessairement la meilleure façon d'exprimer la conception de soi d'une "communauté d'Eglises". Non seulement les Eglises orthodoxes, mais aussi de nombreuses Eglises d'Afrique et d'autres régions de l'hémisphère sud, appliquent d'autres modèles qui mettent davantage l'accent sur le dialogue et le consensus et sur le respect de la hiérarchie et de l'autorité. Sans rejeter la discipline de la "responsabilité mutuelle" comme critère sur lequel fonder la vie d'une communauté engagée, elles préféreront insister sur le fait que celle-ci présuppose un partenariat authentique, la volonté de prendre le risque de la rencontre avec l'autre dans un dialogue d'amour, plutôt que la négociation de compromis entre des positions et des groupes d'intérêt différents. Si le COE doit véritablement servir de cadre à l'ouverture d'un espace oecuménique, il faut poser la question de savoir si la forme actuelle de direction par le système majoritaire est la façon la plus appropriée d'organiser sa vie. Le mode de prise de décision par consensus a même été adopté dans certains forums politiques au niveau international. Il est pratiqué dans la plupart des activités du COE. On pourrait aussi envisager d'appliquer ces modèles au niveau de ses instances décisionnelles. En même temps, lors des réunions de l'Assemblée et du Comité central, il faudrait ouvrir et élargir l'espace à une délibération authentique, en invitant les différents partenaires à se rencontrer et à s'engager les uns envers les autres sans avoir nécessairement à voter pour parvenir à une décision. Il va de soi que toutes les questions concernant la participation et l'adhésion au Conseil ne peuvent être traitées de façon satisfaisante au cours de cette Assemblée. Les participants à la réunion interorthodoxe de Thessalonique mentionnée plus haut ont vivement recommandé que soit créée une "Commission théologique mixte", en vue de discuter les changements institutionnels qui s'imposent si l'on veut parvenir à élaborer un mode acceptable de participation orthodoxe à la vie du COE. Cette proposition a déjà recueilli le soutien du Comité exécutif, et l'on escompte que cette Assemblée prendra les décisions nécessaires à la mise sur pied de cette commission.

27. Cependant, la participation active de l'Eglise catholique romaine à de nombreux domaines de la vie et des activités du COE nous oblige à revenir à la question de savoir si le "statut de membre", conçu comme un lien institutionnel comportant des droits et des responsabilités, est en fait la seule forme possible de participation au mouvement oecuménique, voire la plus appropriée. On a toujours admis que le mouvement oecuménique est plus large et plus complet que le Conseil oecuménique avec ses Eglises membres officielles. Une grande diversité d'instruments et d'acteurs du mouvement oecuménique sont apparus peu à peu. Certains sont même plus anciens que le COE lui-même. Le Conseil entretient des relations de travail régulières avec les organismes représentant les communions chrétiennes mondiales, avec les organisations oecuméniques régionales et les conseils chrétiens nationaux, ainsi qu'avec tout un éventail d'organisations oecuméniques internationales. Si le COE, aux termes de son Règlement, les reconnaît tous comme des partenaires essentiels au "seul mouvement oecuménique", ils ne peuvent pas être membres de ce Conseil, et leur participation à l'élaboration des programmes et des activités du COE reste limitée. A côté de l'Eglise catholique romaine, d'autres "Eglises non membres", en particulier celles des traditions évangéliques et pentecôtistes, contribuent à leur manière à façonner l'ordre du jour du mouvement oecuménique sans être rattachées cependant au COE par un lien institutionnel. Le Conseil oecuménique des Eglises continue d'être l'expression structurelle la plus complète et la plus représentative du mouvement oecuménique. Ainsi, comme le dit la Constitution du COE dans le projet de texte révisé de l'article III, il a pour responsabilité particulière de "renforcer le seul mouvement oecuménique". La proposition d'amendement à la Constitution reconnaît les différents partenaires oecuméniques du COE et considère que celui-ci a notamment pour responsabilité de "travailler à maintenir la cohérence du seul mouvement oecuménique dans ses diverses manifestations".

28. Ainsi, cette proposition d'amendement attribue au COE une responsabilité qui s'étend au-delà du cercle de ses membres officiels. Le nouveau texte ne modifie pas le caractère du Conseil oecuménique comme "conseil d'Eglises", mais il reconnaît que le "statut de membre" ne peut pas et ne doit pas devenir une catégorie à laquelle serait réservée exclusivement la participation à l'entreprise oecuménique commune. Pour donner une expression tangible à sa volonté de favoriser des relations avec une communauté plus large que celle de ses membres, le Conseil a suggéré que l'on étudie la création d'un "Forum des Eglises et des organisations oecuméniques chrétiennes". Ce terme de "Forum" a été délibérément choisi pour indiquer que la participation est plus importante que le fait d'être membre. Le Forum doit être ouvert à tous les organismes et organisations qui confessent Jésus Christ comme Seigneur et Sauveur selon les Ecritures et qui s'efforcent d'obéir à l'appel de Dieu. Son but serait de créer l'espace où pourraient avoir lieu des échanges authentiques sur les grands problèmes auxquels le mouvement oecuménique est confronté et où pourraient s'élaborer des formes de coopération. Toutefois, le Forum ne devrait pas devenir une autre institution dotée de structures administratives et bureaucratiques. Ce ne sera pas un cadre où l'on prendra des décisions et adoptera des résolutions. Mais son objectif sera de créer un réseau de relations qui transcendent les limites des dispositifs existants. Le COE participerait à ce Forum à côté de ses partenaires sans revendiquer une place privilégiée. Après avoir consulté les partenaires les plus immédiats dont l'accord est décisif pour mettre sur pied un tel projet, on a réuni un colloque préparatoire au mois d'août de cette année, et l'on a formulé une proposition commune qui est actuellement soumise aux différents interlocuteurs pour leurs réactions et commentaires. Au nom du COE, cette Assemblée, par l'intermédiaire du Comité d'examen des directives I, est invitée à réagir à cette proposition.

Une vision oecuménique pour le 21e siècle

29. En conclusion, je veux aborder les perspectives plus larges que nous ouvre le thème de l'Assemblée quand il nous invite à "nous réjouir dans l'espérance". Sommes-nous prêts à "rendre compte de l'espérance qui est en nous"? Avons-nous une vision oecuménique qui pourrait nous guider au moment où nous entrons dans le 21e siècle, une vision capable d'entraîner la nouvelle génération? Tandis que nous célébrons le 50e anniversaire du COE, il nous est rappelé que l'affirmation de l'Assemblée d'Amsterdam "Nous sommes décidés à demeurer ensemble", n'était pas seulement un acte de foi. Elle exprimait également une vision pour l'Eglise et le monde et un engagement à agir. A l'heure de l'ouverture de cette Assemblée du jubilé, il vaut la peine de citer à nouveau le texte du message d'Amsterdam qui énonce solennellement cet engagement: "Mais combien vaines notre rencontre et la constitution du Conseil oecuménique des Eglises si, partout, les chrétiens et les paroisses ne s'engagent envers le Seigneur de l'Eglise, s'ils refusent d'être, ensemble et là où ils vivent, ses témoins et, auprès de tous, ses serviteurs ! Il faudra nous rappeler à nous-mêmes et rappeler à tout homme que Dieu a renversé les puissants de leur trône et élevé les humbles. Il faudra réapprendre à parler ensemble hardiment au nom du Christ à ceux qui détiennent l'autorité comme à ceux qui lui sont soumis, à combattre toute terreur, toute cruauté et toute discrimination raciale; à porter assistance aux méprisés et aux parias, aux prisonniers et aux réfugiés. Il faudra que l'Eglise, partout, soit la voix de ceux qui ne peuvent élever leur voix dans le monde, la maison où tout homme trouve avec joie sa place ... Il faudra demander à Dieu d'inspirer les 'oui' et les 'non' que nous devons dire ensemble en toute vérité: non, à tous ceux qui foulent au pied l'amour de Christ, à tout système, tout programme, toute personne qui traite n'importe quel être humain comme une chose irresponsable ou comme une source de gain; non, à tous ceux qui défendent l'injustice au nom de l'ordre; non, à ceux qui sèment des semences de guerre et à ceux qui poussent à la guerre en la déclarant inévitable; - oui, à tout ce qui est conforme à l'amour du Christ; oui, à ceux qui cherchent la justice et procurent la paix; oui, à ceux qui espèrent, luttent et souffrent pour la cause de l'homme; oui, à quiconque - même sans le savoir - aspire aux nouveaux cieux et à la nouvelle terre où la justice habitera."

30. En s'efforçant de traduire dans ses actes cet engagement et cette vision, le COE, au cours des 50 années de son existence, a certes été une source d'espérance pour nombre de gens et de communautés: pour les personnes déracinées et les victimes de la discrimination raciale ou de l'oppression, pour ceux qui luttent en faveur de la justice et de la dignité humaine, pour les femmes et tous les exclus de l'Eglise et de la société. Ces signes visibles de l'obéissance chrétienne commune ont modelé le profil du COE pendant plusieurs générations. Ils ont encouragé la création de réseaux de solidarité oecuméniques dans toutes les régions du monde, réseaux qui ont changé la manière de comprendre ce que signifie être l'Eglise dans le monde.

31. Mais en célébrant l'héritage de ceux et celles qui nous ont précédés, nous ne pouvons pas nous contenter de réaffirmer simplement leur vision et leur engagement. Ceux qui ont rédigé l'engagement et la vision d'Amsterdam l'ont fait alors qu'ils étaient encore sous le choc des terribles ravages de la guerre la plus destructrice de l'histoire humaine. Nous devons formuler un engagement et une vision qui s'inscrivent dans le contexte du monde et du mouvement oecuménique au seuil du 21e siècle. Nous nous trouvons entraînés aujourd'hui dans un processus de transformation historique que l'on a appelé "mondialisation". Ce phénomène a accru de manière spectaculaire l'interdépendance de toutes les régions du monde, en particulier dans les domaines de l'économie, des finances et de la communication. En même temps, il provoque un morcellement de plus en plus grand et l'exclusion, à travers le monde, de populations sans cesse plus nombreuses. En outre, le mouvement oecuménique se trouve à un carrefour et il a terriblement besoin qu'on lui indique la nouvelle direction à suivre. Après avoir célébré ce jubilé et affirmé à nouveau que nous sommes décidés à demeurer ensemble, nous ne pouvons pas tout simplement rentrer chez nous et continuer à vaquer à nos affaires oecuméniques comme si rien ne s'était passé. Le thème de l'Assemblée nous appelle à la conversion, à la repentance; il nous appelle à examiner d'un regard critique nos échecs à guérir les divisions du corps du Christ, nos hésitations à dire "non" à tout ce qui divise et "oui" à tout ce qui est prometteur d'une unité plus grande.

32. Mais parfois notre "non" a été plus fort que notre "oui". Parfois, nous avons laissé les ambiguïtés et les antagonismes des décennies de la guerre froide brouiller notre vision de l'unité et des justes relations dans l'Eglise et le monde. Ce n'est pas le moment de nous reposer sur nos lauriers, de nous remettre confortablement aux acquis de notre passé. Les réseaux de solidarité oecuménique subissent de plus en plus les pressions de la dynamique de la mondialisation, qui pratique un "oecuménisme de domination" impitoyable. Si nous devons dire "non" à un nouvel ordre mondial qui refuse à des centaines de millions de gens le droit à la vie et à la dignité humaine et met en danger la durabilité du tissu même de la vie, nous sommes appelés plus que jamais à dire "oui" partout où nous découvrons que des initiatives sont prises pour affirmer et défendre la vie, guérir la communauté humaine et restaurer l'intégrité de la création. Le message du jubilé contenu dans le thème de l'Assemblée n'esquisse pas le schéma d'un nouvel ordre, mais au milieu d'un monde déchiré, imparfait, il nous indique là où la conversion est nécessaire. Il ne nous promet pas l'avènement imminent "de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre". Bien plutôt, il était hier et demeure aujourd'hui un message de libération hors des chaînes qui nous retiennent captifs et entravent notre marche oecuménique, et une charte d'espérance pour la reconstruction de la communauté dans laquelle les exclus seront rétablis dans leur condition d'égaux.

33. S'appuyant sur le document CVC, le texte "Notre vision oecuménique" (publié dans le Guide de travail de l'Assemblée) s'efforce de rendre compte de l'espérance qui est en nous. Ce texte, présenté sous forme d'une litanie, est rédigé dans le langage liturgique du culte. Il servira de cadre au service de renouvellement de notre engagement, le 13 décembre, jour où nous célébrerons le 50e anniversaire du COE. Il constitue une invitation à incarner la vision oecuménique dans nos situations diverses et à en faire l'expression commune de notre espérance à cette Assemblée. Ce n'est pas tant le coeur même de la vision qui est en jeu. Les images bibliques du règne de Dieu, de la plénitude de vie en sa présence, d'un ciel nouveau et d'une terre nouvelle fondées sur des relations justes, de la réunion de toutes choses dans l'unité en Christ constituent la source d'inspiration de nos espoirs et de nos visions. Mais le défi qui nous est lancé ici, c'est de trouver un langage dans lequel interpréter et expliquer ces images bibliques aux générations d'aujourd'hui et de demain, afin qu'elles soient armées pour répondre à la vocation oecuménique avec la même conviction que les générations qui préparèrent la voie.

34. Le texte "Notre vision oecuménique" commence par affirmer l'héritage de ceux qui nous ont précédés. Il nous rappelle que nous sommes toujours le peuple de Dieu en marche. Et il nous propose une vision du mouvement oecuménique aujourd'hui:

"Nous aspirons à l'unité visible du corps du Christ,
    qui atteste les dons de tous,
    jeunes et vieux, femmes et hommes, laïcs et ordonnés.

Nous attendons la guérison de la communauté humaine,
    la plénitude de la création tout entière de Dieu.

Nous croyons au pouvoir libérateur du pardon,
    qui transforme l'hostilité en amitié
    et brise l'engrenage de la violence.

Nous ouvrons nos vies à une culture de dialogue et de solidarité,
    dans le partage avec les étrangers
    et la rencontre avec les croyants d'autres religions."

Le rétablissement et la construction de communautés humaines où la vie peut s'épanouir sont au centre de cette vision. En un temps où l'individualisme, la désintégration et l'exclusion ne cessent de gagner du terrain, elle offre un point de convergence aux espoirs des pays du Nord comme à ceux des pays du Sud. En affirmant résolument la vie et le droit à la vie pour tous, elle va dans le sens de l'orientation donnée à l'Assemblée de Canberra. Ses thèmes sont la plénitude, la réconciliation, la communauté, le dialogue et la tolérance, la solidarité et la limitation volontaire du pouvoir. Le texte de la vision encourage l'énoncé de valeurs et de normes communes, la création d'une nouvelle culture fondée sur le dialogue, sur la volonté d'apprendre au contact les uns des autres, sur la non-violence et le règlement pacifique des conflits, sur le partage et la solidarité. Cette vision d'une culture alternative de la communauté humaine dans l'Eglise et la société peut paraître utopique, puisqu'elle s'élève contre l'imposition d'autres normes et valeurs dans une société de plus en plus mondialisée. Elle est ancrée dans la certitude confiante qu'il existe une solution de rechange à la concurrence sans frein, à la croissance à tout prix face à la simple aisance, à la consommation face à la régénération, à l'individualisme face à la solidarité de la communauté.

35. Toute vision qui n'inspire pas de nouvelles formes d'action demeure une utopie lointaine. Elle peut même empêcher un discernement objectif de la réalité - courant ainsi le risque de devenir une idéologie étouffante. Une vision ne s'impose à tous que si elle contribue à démasquer et à nommer les contradictions du présent, et à libérer les énergies indispensables au changement. Une telle vision commune engage les Eglises qui participent au mouvement oecuménique à manifester entre elles des relations d'une qualité nouvelle qui expriment et préfigurent l'ébauche d'un nouvel ordre, d'une nouvelle culture. La force et l'intégrité du mouvement oecuménique résident dans un tel réseau mondial de relations, capable de soutenir les Eglises en tous lieux dans leur intention d'être véritablement l'Eglise, de créer des communautés vivantes et durables, de construire un environnement solidaire, d'offrir un refuge et un espace aux désemparés et aux exclus. En manifestant une telle vision à travers leurs célébrations et leur vie, les Eglises peuvent offrir un sens nouveau à la vie de ceux et celles qui se sentent désorientés ou abandonnés, et anticiper cette plénitude qui est la promesse eschatologique de Dieu. En donnant corps à cette vision, les Eglises peuvent, par la grâce de Dieu, devenir véritablement des communautés porteuses d'espérance dans un monde qui a cruellement besoin de bases et de repères solides.



Discussion des rapports du président et du secrétaire général

Table des matières
Huitième Assemblée et Cinquantenaire

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