No. 3 - septembre 1999

Chers amis,

Avant d’avoir eu la chance de visiter Cuba - ce que j’ai fait pour la première fois en janvier 1980 en ma qualité de toute nouvelle vice-présidente du Conseil des Eglises d’Amérique latine alors en formation - je connaissais déjà la version espagnole d’une chanson qui se jouait dans les Caraïbes sous le titre anglais de "The Right Hand of God". Son rythme syncopé et entraînant la rendit facile à traduire en espagnol et c’est précisément ce que fit la compositrice Lois Kroehler, collaboratrice fraternelle à Cuba, (y ajoutant même un couplet de sa composition).

"La mano de Dios", comme elle s’intitula en espagnol, connut un immense succès dans les communautés de foi d’Amérique latine parce qu’elle exprimait la confiance et l’espoir des chrétiens dans le dessein d’amour de Dieu pour la communauté humaine. Elle parlait de la main de Dieu à l’oeuvre dans le monde pour détruire l’oppression ancestrale et ouvrir une nouvelle ère de justice où la dignité humaine serait enfin une réalité. On devinera sans peine que beaucoup de chrétiens de Cuba associèrent les paroles de cette chanson à l’oeuvre mystérieuse de Dieu manifeste dans les transformations que traversait leur pays après la révolution socialiste de 1959. Croyez-moi, c’était une chanson qu’on chantait avec enthousiasme en Amérique latine.

Toutefois, lorsque je me rendis en visite auprès des Eglises et des organisations oecuméniques de l’île au tout début des années 80, je fus stupéfaite de découvrir dans quelles circonstances particulières mes soeurs et frères cubains entonnaient vraiment cette chanson. Les Eglises étaient quasiment vides. Leurs membres avaient pour la plupart émigré vers d’autres sphères de la société, ou, par milliers, vers les Etats-Unis. Seule une poignée de gens continuaient de pratiquer régulièrement, de participer au témoignage chrétien et à la réflexion théologique. La guerre froide, l’hostilité envers Cuba et les effets du blocus imposé au pays expliquaient certes ce phénomène qui était dû aussi à l’athéisme obstiné du système et par conséquent à l’idée selon laquelle les Eglises étaient totalement inutiles. Il y avait en outre le fait que les chrétiens étaient en butte à des discriminations quotidiennes.

Qu’est-ce que cela signifiait dans ces circonstances de chanter la main de Dieu? Dieu était-il à l’oeuvre dans la société, négligeant les Eglises? Comment fallait-il comprendre le rapport existant entre d’une part les signes manifestes du royaume de Dieu dans les conditions de vie de la population cubaine et de l’autre la désaffection croissante à l’égard des Eglises? L’action de Dieu se faisait-elle aux dépens des Eglises? Et qu’entendait-on par les "effectifs"? Parlions-nous vraiment sérieusement lorsqu’on évoquait la "présence chrétienne" dans des sociétés traversant des changements socio-politiques rapides, alors qu’en réalité les chrétiens n’étaient qu’une minuscule poignée? Et qu’en était-il du témoignage évangélique? La proclamation de la bonne nouvelle de Jésus Christ deviendrait-elle superflue à mesure que les gens verraient leurs espoirs et leurs aspirations comblés dans le domaine temporel?

Si je soulève toutes ces questions, c’est à cause des pages qui suivent où vous lirez un témoignage vibrant du moment d’évangélisation que vit à présent Cuba: c’est un véritable kairos. En raison d’une série de célébrations publiques organisées par les Eglises cubaines, j’ai demandé à Suecia Méndez, jeune et brillante journaliste et membre active de l’Eglise réformée presbytérienne de Cuba, de nous rendre compte de la situation. Je suis certaine que son article vous fera louer Dieu pour ces nouvelles et merveilleuses manifestations de son amour actif. Mais permettez-moi une suggestion. Après avoir lu l’article de Suecia, reprenez quelques-unes des questions du paragraphe qui précède et réfléchissez-y à la lumière de ce qu’elle nous conte. Ensuite, je propose que vous rendiez grâce à Dieu pour le témoignage discret rendu par la "minuscule poignée" de chrétiens de Cuba qui, durant ces dernières décennies, ont réussi à maintenir vivante la vie cultuelle et ont fidèlement raconté l’histoire de Jésus et prié avec leurs enfants et leurs petits-enfants.

Durant ces années difficiles, cette minuscule poignée de gens n’ont pas seulement partagé leurs maigres biens avec les amis et les étrangers, sans compter et sans faire de différences, ils ont aussi mis leurs compétences professionnelles et leur formidable spiritualité au service de populations qui connaissaient des difficultés dans des pays lointains. Ces mêmes petites gens ont courageusement soutenu les changements sociaux et politiques lorsqu’ils y voyaient une incarnation de l’Evangile, et combattu les défaillances et les erreurs qui étaient commises au nom du changement. Leur témoignage s’inscrit parfaitement dans ce que nous relate Suecia et tous deux rapportent de manière très parlante certaines des actions "de la main de Dieu".

Après l’article de Suecia, vous trouverez un autre témoignage "du terrain". Il nous vient de Noel Villalba, enseignant et pasteur de l’Eglise unie du Christ des Philippines, qui nous encourage à une réflexion sur l’évangélisation à travers un article très stimulant. Enfin, on vous propose une toute nouvelle rubrique intitulée "de la boîte à lettres" où l’on vous livre des commentaires et des réactions tirées du courrier des lecteurs. Par cette rubrique, vous pourrez savoir comment d’autres ont réagi aux précédents numéros de la Lettre mensuelle; j’espère qu’elle suscitera un courrier encore plus abondant.

Maintenant, bonne lecture. Je vous adresse mes meilleures salutations, et souhaite que Dieu vous comble de ses bienfaits dans votre vie et votre travail.

Paz y bien,

La pasteur Ana Langerak
Secrétaire exécutive
chargée de la
mission et de
l’évangélisation


Célébration et témoignage:
dans un contexte en pleine mutation les Eglises cubaines font preuve d’une vitalité nouvelle

par Suecia Méndez

Depuis quelques décennies, Cuba, la plus grande des îles Caraïbes, est devenue l’un des objets privilégiés de l’attention internationale, que ce soit en raison de son régime politique et social, de ses paysages ou de la question religieuse. Cette île, avec une superficie totale de 110 922 kilomètres carrés et une population de 11 millions d’habitants, dispose d’abondantes ressources naturelles, d’un environnement d’une grande richesse, et les Cubains sont connus pour leur hospitalité et leur tempérament allègre.

Un coup d’oeil rétrospectif sur l’histoire de Cuba, permet de constater que, tout comme d’autres territoires du continent latino-américain et des Caraïbes, cette île a été une colonie espagnole pendant plusieurs siècles et qu’elle a été l’un des territoires favoris de l’Espagne jusqu’à la fin du 19ème siècle. Le début du 20ème siècle a été marqué par la fin de la colonisation, et par l’entrée en scène des Etats-Unis, qui s’est fait sentir notamment au travers de la législation et de certains amendements à la constitution cubaine.

En 1959, un important changement politique, économique et social est survenu à Cuba. Un nouveau régime politique s’est mis en place à la suite de la révolution socialiste. Ces événements ont eu des répercussions sur la société cubaine, sur son évolution et sa dynamique et ils ont évidemment entraîné des conséquences considérables pour la vie religieuse du pays.

Dans le domaine religieux, les quarante dernières années ont été pour Cuba un temps quelque peu difficile; même si l’on n’a pas promulgué de lois interdisant aux individus de participer à des activités de caractère religieux, d’une certaine manière, les personnes qui fréquentaient les Eglises ou professaient publiquement leur foi se sentaient l’objet de discrimination ou d’une marginalisation par le fait même qu’elles étaient chrétiennes. Cette situation, douloureuse pour un bon nombre de personnes qui la subissaient, a changé depuis quelques années, car en 1990 les relations entre l’Eglise et l’Etat ont pris une nouvelle orientation et le gouvernement cubain a manifesté une certaine ouverture à l’égard de la vie religieuse du pays. Le Conseil des Eglises de Cuba a exercé une influence non négligeable sur l’avènement de cette nouvelle situation et les efforts qu’il a déployés ont contribué à instaurer ce nouveau climat dans les relations.

C’est dans ces circonstances que les Eglises de Cuba ont connu depuis 1990 une croissance importante; la période où les enfants et les jeunes y étaient peu nombreux était révolue et on a alors assisté à une véritable ruée de nouveaux venus qui étaient à la recherche d’un lieu où confesser publiquement leur foi et d’une communauté où vivre le partage. On vit arriver des personnes qui n’avaient jamais entendu parler de l’Evangile; d’autres, qui avaient abandonné l’Eglise au cours des années 60 et 70, y revinrent avec le désir de rattraper les années perdues. C’est ainsi que l’Eglise a vécu à Cuba un grand bouleversement depuis le début de notre décennie et que des gens continuent à la rejoindre, dans la foulée d’un mouvement qui ne cesse de s’amplifier.

Ces dernières années ont placé les Eglises face à une tâche immense, car elles sont confrontées à cette énorme croissance et doivent préparer du matériel et de la documentation pour la formation chrétienne, fournir des informations et préparer les gens à devenir membres des Eglises. En d’autres termes, le travail des laïcs s’est considérablement accru et celui des pasteurs revêt de nouveaux aspects depuis une dizaine d’années. L’Eglise, à Cuba, a commencé à s’engager de manière importante dans des activités visant à répondre aux besoins sociaux de la population. N’oublions pas qu’à l’époque où se produisait le phénomène d’ouverture dont nous parlions, on assistait en Europe de l’Est à l’écroulement du socialisme, qui a provoqué une terrible crise économique dans laquelle Cuba a été entraînée. Un grand mouvement international s’est alors constitué, dont l’objectif était d’apporter au peuple cubain une aide humanitaire par le canal des Eglises.

Nous en arrivons à la "Fête du protestantisme cubain" qui s’est déroulée durant les mois de mai et de juin de cette année. "Nous allons faire une ronde en nous tenant par la main, du Turquino à la Havane, de la montagne à la plage". Les personnes qui connaissent la géographie de notre île peuvent se rendre compte qu’une ronde commençant au Turquino, la plus haute montagne de Cuba, à l’extrémité orientale du pays, pour aboutir à la Havane, capitale de l’Etat, située à l’ouest, ferait entrer toute l’île devait dans une belle danse cubaine. L’image de l’unité, de la joie, de la fête, de la célébration, de l’Esprit de Dieu répandu sur tout un peuple qui le loue s’exprime dans un cantique intitulé "La Ronda", composé par un jeune Cubain; il a fourni le thème de la Fête du protestantisme à Cuba.

Cette Fête a constitué l’un des événements marquants de l’histoire du protestantisme cubain et de l’histoire de l’oecuménisme dans les Caraïbes et l’Amérique latine; en effet, c’était la première fois que des chrétiens appartenant à 49 dénominations se réunissaient pour apporter ensemble le message de l’Evangile à tout un peuple. Si l’an dernier avait incontestablement été un temps fort pour le catholicisme de Cuba, en raison de la visite de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II et du grand retentissement de cette visite à tous les niveaux de la vie du pays, cette année-ci a marqué une grande date pour les protestants, qui ont utilisé d’innombrables lieux publics, stades et lieux de rassemblement en plein air pour proclamer la parole de Dieu et annoncer un message d’espérance au peuple de Cuba.

L’idée d’organiser une manifestation commune a vu le jour en 1995, lorsque le Conseil des Eglises de Cuba a eu l’idée de réunir un grand congrès; ce projet n’avait pas pu se réaliser, faute de ressources financières. Par la suite, pour ne pas créer d’interférences avec la visite du Pape à Cuba, on décida de le renvoyer à 1999, mais dans une perspective différente; on n’allait pas organiser un congrès, mais une fête qui inclurait toutes les Eglises protestantes de Cuba, y compris celles qui n’étaient pas membres du Conseil. En octobre 1998, un Comité national de 15 membres, chargé d’organiser la fête, s’est constitué et le 17 décembre, il faisait parvenir un premier communiqué de presse à une série de journalistes cubains et étrangers et faisait connaître les objectifs de cette manifestation: "proclamer l’espérance d’un monde nouveau et contribuer à la construction d’un monde nouveau, plus proche de l’idéal chrétien d’amour, de paix et d’unité ". Le thème de la fête était: "Jésus Christ par tous et pour tous - Amour, paix, unité"; il constituait un grand défi lancé au peuple protestant de Cuba, croyants et non croyants, hommes et femmes de bonne volonté; tous ont entamé des préparatifs qui allaient durer des mois en vue des grandes manifestations publiques prévues.

La Fête s’est déroulée en deux temps: le mois de mai, a été un temps de préparation et d’étude sur les thèmes de l’amour, de la paix et de l’unité; des concerts publics ont eu lieu pendant la semaine sainte, ainsi que des échanges entre les Eglises de différentes dénominations. C’est aussi au cours de cette période que la musique composée pour les manifestations a été diffusée et que les choeurs l’ont travaillée, que l’on a distribué des traités, du matériel pour études bibliques, des tee-shirts et des affiches sur le thème de la célébration et que l’on a fait des visites aux paroisses locales pour leur expliquer le déroulement et le sens des manifestations prévues.

Au mois de juin de nombreux rassemblements ont eu lieu, les uns dans le cadre local, d’autres au niveau provincial et quatre d’entre eux, organisés à l’échelon national, à Baracoa, Holguin, Camaguey et la Havane. Ces derniers ont été diffusés par la télévision nationale. Chacune d’elles, d’un style différent, reflétait des traits originaux propres à la culture de chacune des régions, et offrait à la population l’occasion de se réunir pour louer Dieu, de chanter en choeur des hymnes traditionnels, de se prendre par la main, d’applaudir, de lire la Parole et de partager le message.

Chacune de ces célébrations a rassemblé des milliers de chrétiens. Les participants avaient apporté des panneaux sur lesquels on pouvait lire: "Christ est vivant", "Dieu t’aime", ainsi que les thèmes de la fête, des bannières chrétiennes et des drapeaux cubains. Il n’a pas été facile d’allier les caractères distinctifs de tant de dénominations différentes dans le cadre de ces quelques célébrations, pas simple non plus de trouver un bon équilibre. On s’est efforcé, au cours de chaque culte, de faire chanter aussi bien les cantiques traditionnels des dénominations historiques que les chants de louange propres aux Eglises pentecôtistes. Cependant, au-delà de tout ce que l’on a pu faire dans ces domaines, il importe de se rendre compte qu’au travers de nos réussites et de nos erreurs, l’Esprit de Dieu était à l’oeuvre, qu’il a rempli nos coeurs et a produit ses fruits.

Le 20 juin, dernier jour de la fête, la manifestation s’est déroulée sur la Place de la Révolution où des dizaines de milliers de Cubains se sont réunis dès l’aube pour louer Dieu ensemble. Le culte a duré près de trois heures et a été célébré en présence de Fidel Castro, président de l’Etat, qui avait confirmé son intention d’y assister lors d’une rencontre qu’il avait eue avant la fête avec un groupe de responsables des Eglises protestantes; on notait aussi la présence d’autres membres des autorités gouvernementales et de représentants du corps diplomatique accrédité à Cuba. On a tout particulièrement remarqué la participation d’une délégation du Conseil national des Eglises des Etats-Unis avec le pasteur Joan Brown Campbell, sa secrétaire générale, ainsi que du pasteur Lucius Walker, qui marchait à la tête de la 9ème "Caravane de solidarité Pasteurs pour la paix".

La célébration reflétait la culture cubaine au travers de la musique interprétée par la Chorale protestante, forte de 460 choristes venus d’Eglises de diverses dénominations et accompagnée d’un orchestre composé de 35 musiciens chrétiens. Par ailleurs, le choeur formé de plus de 100 enfants et le groupe de jeunes qui dansaient sur des rythmes traditionnels cubains et des chants chrétiens ont été, eux aussi, très remarqués. Le message, donné par le pasteur Pablo Oden Marichal, président du Conseil des Eglises de Cuba, a essentiellement souligné le thème de l’unité.

Au cours de la célébration, on pouvait entendre les participants proclamer: "Christ est vivant", et beaucoup d’entre eux portaient des panneaux sur lesquels étaient inscrits le thème de la fête: "Jésus Christ par tous et pour tous - Amour, paix, unité", ainsi que "Dieu est amour", et "Jésus Christ est le Seigneur".

La Fête a tenté de promouvoir l’évangélisation à une vaste échelle, sans intention aucune de prosélytisme, mais pour annoncer le message libérateur de Jésus Christ qui nous offre une espérance malgré les difficultés, les problèmes et les situations pénibles, lui qui nous accompagne, fait route avec nous et qui jamais ne nous abandonne, même dans les temps les plus difficiles et les moments de grande incertitude.

Pour les personnes qui, comme moi, sont nées au sein d’une société socialiste et athée où il n’était pas facile d’être chrétien, la manière dont, au cours des années, la situation a changé, les portes se sont ouvertes, les barrières se sont renversées et les murs sont tombés, ne peut être que l’oeuvre de Dieu. Cette fête a été la réalisation d’un rêve vieux de 40 ans. Qui aurait imaginé une chose pareille il y a quinze ans? Je me demande combien de personnes ont prié pour qu’une telle occasion leur soit offerte, combien ont consacré leur vie entière à prêcher l’Evangile, à le vivre au sein d’une société à la dynamique aussi complexe que celle de Cuba.

J’ai entendu beaucoup d’échos à la suite des rassemblements: certains de mes amis, non croyants, m’ont dit: "tous les dimanches matin je me suis assis devant la télévision pour suivre le culte; j’ai aimé le message et les choses qui se disaient; tout cela paraissait très sincère". D’autres viennent demander qui sont les protestants et pourquoi ils ont organisé cette fête; cet événement a donc été une manière de rejoindre les gens et de dialoguer avec eux.. Je me souviens d’un jeune chrétien qui, à la fin de la célébration, s’est approché de moi et m’a dit: "Cela a dépassé toutes mes espérances". Un ancien de mon Eglise rendait grâces au Seigneur, car "voici quarante ans que nous prions pour que cette célébration se réalise".

Les inquiétudes et les questions que peut susciter un tel événement sont infinies et constituent précisément le défi face auquel se trouve l’Eglise aujourd’hui: elle doit réfléchir à sa mission pour le présent et l’avenir. Nous sommes certains que la fête ne peut pas se borner à la prédication sur la place publique, car cette semence touche de nombreux coeurs et portera des fruits nouveaux et frais. L’Eglise a pour tâche de semer sans relâche la parole de Dieu.

Que va-t-il se passer après la Fête du protestantisme cubain?

On ne peut pas la considérer comme un événement appartenant au passé; bien sûr, il faudra en faire l’analyse, l’évaluer et chercher de nouvelles perspectives pour le travail futur des Eglises protestantes de Cuba. A cette occasion, de nombreuses dénominations qui n’avaient jamais auparavant participé à des manifestations oecuméniques se sont rassemblées pour y prendre part et échanger. Il sera bien nécessaire d’analyser l’oecuménisme cubain recherchant l’unité entre les différents groupes protestants.

Les Eglises évangéliques de Cuba devront poursuivre leurs efforts pour jouer leur rôle au sein de la société. L’un des résultats positifs de cette fête consiste en ce que l’Eglise a eu accès à des espaces qui lui étaient fermés auparavant: la télévision, les lieux publics, la radio internationale. Il faut maintenant qu’elle les maintienne ouverts et qu’elle fasse en sorte que cela devienne un aspect normal de la vie courante, et non pas quelque chose d’unique et d’exceptionnel.

Il reste à l’Eglise de Cuba beaucoup à faire; il est essentiel qu’elle redouble d’efforts, car nous sommes en présence d’un peuple qui a besoin des valeurs de l’Evangile pour vivre. Que Dieu nous accompagne et nous donne la sagesse et la vision dont nous avons besoin pour les temps nouveaux qui viennent.


Proclamer le Christ n’est pas facile
par Noel Villalba

Alors que j’étais assis, accablé de chaleur dans un car poussiéreux, dans ma ville natale de Butuan sur l’île de Mindanao, aux Philippines, espérant que le véhicule allait bientôt se mettre en route pour nous donner un peu d’air, un jeune homme se mit à arpenter avec détermination le couloir du car bondé. Il ouvrit sa Bible, version King James, et commença à lire l’épître aux Romains en langue locale. Sans commentaires préliminaires, sans se présenter non plus, il commença à proclamer la parole de Dieu en cebuano, en déclarant que "tous ont péché et sont condamnés à mourir". Je commençais à me sentir mal à l’aise, et lançai un regard à un couple de musulmans assis derrière moi, l’air très digne. Nous partions pour Davao City, à quelque 200 kilomètres (soit 7 heures de trajet) de là.

Voyager dans ces cars, dans une zone difficile où on peut s’attendre à ce que des bombes terroristes explosent en cours de route, est toujours risqué. Les chauffeurs de la ligne Bachelor Express sont connus comme des êtres diaboliques qui ne s’arrêtent pas pour emmener leurs victimes à l’hôpital lorsqu’ils les renversent, les écrasent ou les heurtent sur la route. Je n’avais pas envie qu’on me rappelle la proximité de la mort dans ce car. Je ne m’y trouvais que parce que j’avais été invité à prononcer un sermon dans la grande église de Davao City, sur le thème du ministère de l’Eglise dans la société, et je n’avais pas encore écrit mon texte. J’espérais un voyage calme et, de toute manière, les trajets en car m’incitent généralement à réfléchir sérieusement au sens de la vie.

Le jeune homme continuait à menacer tous les passagers des conséquences du péché, postillonnant à l’occasion sur ceux qui l’entouraient. Incapable de le supporter plus longtemps, un touriste bedonnant et à moitié ivre, probablement australien, se leva et, pointant son doigt en direction du jeune homme, lui dit: "Cessez de crier, espèce de malotru." Le jeune prédicateur qui ne savait pas l’anglais ne comprit pas ce qui dérangeait l’Australien. Il se mit à prêcher encore plus fort, tandis que l’Australien s’énervait de plus en plus. Regardant derrière moi, je vis les deux musulmans qui plaisantaient entre eux. Tout à coup, l’évangéliste sentit l’haleine chargée d’alcool de l’Australien et devint encore plus virulent. Il brandit le poing pour renforcer son argument théologique selon lequel les démons sont parmi nous.

Soudain l’Australien se leva et partit à la recherche d’un policier. Il tomba sur un garde de sécurité et lui décrivit le grossier personnage qui troublait la paix à l’intérieur du car. Le garde de sécurité, armé d’un fusil menaçant, inspecta le car et, constatant que personne n’y semait le désordre, haussa les épaules et s’en alla. La fureur de l’Australien redoubla: "N’y a-t-il pas de loi, dans ce pays, contre ceux qui troublent l’ordre public?" A mon avis, il faisait plus de bruit à l’extérieur du car que le jeune homme à l’intérieur.

Notre prédicateur avait fini sa proclamation. Il s’était mis à prier: "Que Dieu soit avec ceux qui ont la paix en Christ, que Dieu les garde dans ce dangereux voyage". J’en avais des frissons dans le dos. Il fit passer alors de petites enveloppes et bénit ceux qui y glissaient nerveusement une pièce d’un ou de cinq pesos. Puis il partit. L’Australien revint à son siège et continua à grommeler: "Au diable ce type. Jamais je ne donnerai un sou à quelqu’un d’aussi grossier. On ne lui a jamais dit qu’il y a des églises pour ceux qui veulent écouter des sermons?"

Proclamer le Christ n’est pas facile, même le jeune homme du car le savait. L’évangélisation ne consiste pas simplement à proclamer Jésus Christ en paroles (ou, dans notre pays à prédominance chrétienne, à proclamer à nouveau qu’il nous a sauvés). Je suis le directeur d’une petite école secondaire religieuse qui compte moins de 400 étudiants. L’école est située à une trentaine de kilomètres de ma ville natale. Je vis sur le campus. Je suis aussi pasteur d’une petite église de campagne à environ sept kilomètres de l’école, où j’exerce mon ministère le samedi et le dimanche. Ma journée scolaire commence à 5 heures, quand nos voisins musulmans appellent à la prière en chantant "Allah est grand". Elle finit à la tombée de la nuit.

L’école a été créée en 1946 pour offrir à des jeunes gens pauvres et méritants un programme de formation et d’évangélisation. L’évangélisation signifie qu’on étudie la Bible en classe, qu’on écoute des prédications chaque semaine à la chapelle, qu’on s’initie aux valeurs chrétiennes, qu’on étudie aussi l’anglais, le philippin, les mathématiques et la biologie, et qu’on apprend à connaître Jésus et son amour pour l’humanité. Avons-nous réussi dans notre oeuvre d’évangélisation? Je n’en suis pas sûr.

Certes, il y en a qui acceptent le Christ durant l’année scolaire. Il y en a dont la vie change en bien. Il y a des insouciants qui deviennent des étudiants modèles. Ils nous réjouissent le coeur. Mais pour moi, dans ce cas, l’évangélisation est incomplète. Elle exige un effet total, une transformation fondamentale de l’être humain et, à travers cette transformation, la volonté d’être vulnérable dans la société. C’est en acceptant de devenir vulnérables que nous devenons des instruments de l’amour de Dieu. C’est en nous confrontant à la pauvreté que nous nous penchons sur les questions fondamentales relatives à la parole de Dieu. L’entreprise n’est pas aussi facile qu’il y paraît. Quand des étudiants pauvres viennent me voir à mon bureau à la fin du mois en promettant qu’ils paieront leurs taxes après les examens, je leur dis qu’ils ne peuvent se présenter aux examens. Ils doivent payer maintenant. Je ne puis me permettre d’être vulnérable. Je dois protéger le droit des enseignants à recevoir un salaire, même si ce salaire est inférieur à cent dollars EU par mois. Il faut bien que les enseignants mangent, eux aussi.

Nous ne pouvons pas être sûrs que nos actes contribuent à transformer les gens. Mais nous pouvons prier et espérer que, grâce à la miséricorde de Dieu, l’amour que nous manifestons dans tous nos actes portera des fruits. Ce que nous savons, c’est que nos vies sont les instruments de la proclamation de Jésus Christ, notre Rédempteur. Bien que nous soyons des instruments imparfaits, Dieu peut se servir de nous. A l’heure choisie par lui.


DE LA BOÎTE Á LETTRES
Vous avez touché deux sujets chers à mon coeur: l’évangélisation et les femmes. J’ai apprécié l’honnêteté avec laquelle vous avez abordé la tension entre d’une part la méfiance justifiée que l’évangélisation inspire à des groupes soucieux du respect des droits et du bien-être des femmes, et de l’autre la nécessité de proclamer le Christ à tous dans "toutes les nations". Il est possible de faire de l’évangélisation sans imposer aux femmes des théologies fondées sur la supériorité masculine ou la subordination à l’homme. Il faut vouloir examiner comment on a amalgamé l’annonce de l’Evangile et l’idéologie culturelle et politique. L’outil d’évangélisation que vous trouvez ci-joint: Women, Healing and Empowering*, a été mis au point pour aider les paroisses à accompagner les femmes qui ont été et sont encore prises dans une relation dominant-dominée, et à leur donner espoir. Merci de faire connaître vos points de vue sur ces deux sujets.

La pasteur Marta Poling-Goldennse
Chicago, Etats-Unis

* peut être obtenu contre paiement auprès d’Augsburg Fortress Publisher, P.O. Box 1209, Minneapolis, MN 55440-1209. Tél.: +800-328-4648; Fax: +612-330-3455 Site Web: www.augsburgfortress.org


Je viens juste de relire votre lettre sur l’évangélisation et je tiens à vous REMERCIER ! Elle m’a redonné confiance et tombe à point nommé. Je serais très heureuse de vous recevoir ici à Lausanne. Une femme qui est (déjà) votre amie.

Mme Ragnhild Lundesgaard
Lausanne, Suisse


Il est certainement justifié de soulever les préoccupations des femmes lorsqu’on parle d’évangélisation, mais je pense que pour tout vrai croyant, l’évangélisation est la première des priorités. Lorsque nous prêchons la bonne nouvelle aux hommes et aux femmes, et lorsqu’ils acceptent Jésus Christ comme leur Seigneur et Sauveur, ils se rendent compte aussi qu’hommes et femmes ont des droits égaux devant Dieu. Avant d’accepter Jésus, beaucoup de sociétés ne seront pas en mesure de reconnaître les droits des femmes. Je pense que d’autres religions doivent examiner cette question à la lumière de leurs propres Ecritures.

Le pasteur Kelhizulo Lasuh
Nagaland, Inde du Nord-Est


Je vous écris pour vous dire à quel point j’ai apprécié vos deux premières lettres oecuméniques sur l’évangélisation. J’ai été particulièrement frappée par la première car les questions touchant les femmes m’intéressent tout spécialement. J’ai été membre du Groupe directeur de l’Eglise d’Angleterre pour la Décennie oecuménique "les Eglises solidaires des femmes". Nous avons eu à nous colleter avec des problèmes nombreux et aigus liés à la division erronée entre les questions touchant les femmes et l’évangélisation. Je ne suis pas certaine que nous ayons beaucoup progressé ! J’espère que vous aurez plaisir à lire notre ouvrage, "Telling our Faith Story"*, qui est une méthode que nous avons mise au point pour former les femmes à une évangélisation qui se concentre davantage sur le récit que sur la doctrine, méthode avec laquelle les femmes se sentent plus à l’aise.

Mme Janice Price
London, Royaume-Uni


* peut être obtenu sur demande sur le site Web de Church House Publishing:http://www.chpublishing.co.uk. Prix: 2,95 GBP (emballage et port en sus). Il peut aussi être obtenu au Church House Bookshop, Great Smith Street, London SW1P 3NZ, Angleterre.

Que Dieu bénisse votre ministère. L’évangélisation est essentielle à la vie de l’Eglise et il nous faut faire connaître l’Evangile de la meilleure manière possible à tous nos amis non chrétiens. En tant qu’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, nous estimons avoir une tâche à remplir. Votre lettre devrait pouvoir donner à des personnes de nombreuses cultures différentes la possibilité d’exprimer comment elles transmettent l’Evangile dans leur contexte.

Archidiacre S. Batumalai
Ipoh, Malaisie


Merci beaucoup de la Lettre oecuménique sur l’évangélisation no 2 de juillet 1999. Je crois que vous touchez un point très important que nous qui appartenons à la communauté missionnaire devons approfondir. L’évangélisation est en train de subir des changements radicaux. Nous qui sommes en Occident ne savons pas comment y réagir. Nous avons du mal à répondre aux nouveaux paradigmes car nous sommes inscrits dans des paradigmes extrêmement différents. Il nous faut un forum mondial où nous puissions parler de ces changements avec nos frères et soeurs du Sud et de l’Est. L’équipe "mission et évangélisation" du COE pourrait-elle organiser une telle table ronde?

M. Bryger Nygaard
Copenhague, Danemark


J’ai aimé les "Signs of Life" concernant les approches modernes de l’évangélisation, mais je pense que "l’intérêt pour l’expérience religieuse, le mysticisme et la spiritualité" relève davantage du dialogue interreligieux que de l’évangélisation. La plupart du temps, nous constatons une attirance soit pour une religion tout à fait autre, soit pour une autre forme de christianisme. Cela devrait inciter les Eglises à faire leur autocritique et à prendre conscience du monde dans lequel elles vivent, et non pas à avoir l’illusion d’être à la veille d’une renaissance. Nous avons donc trois impératifs: redécouvrir les dimensions contemplatives de la foi chrétienne, clarifier la nature de la foi dans le Dieu d’Israël à travers Jésus Christ, et libérer nos esprits de l’idée d’hérésie et reconnaître d’autres expressions religieuses enracinées dans le christianisme comme la seule vérité que certains comprendront jamais.

M. William Nottingham
Indianapolis, Etats-Unis


Je suis très heureux que vous ayez parlé des "changements frappants" évoqués par Robert Warren. De plus, j’ai l’impression que l’intéressante hypothèse que vous avancez, et selon laquelle les échanges entre chrétiens et tous ceux qui sont à la recherche d’un idéal et de valeurs donnant sens à leur vie ont lieu sur un pied d’égalité, mériterait d’être explicitée plus avant. Certainement, si l’on parle des médias occidentaux contemporains, on peut plus ou moins parler de pied d’égalité. Mais, au Royaume-Unis, nous sommes frappés de voir à quel point il est rare que les chrétiens puissent prendre la parole directement sans que cela suscite presque automatiquement des commentaires critiques, voire cyniques. La situation est encore très différente en Afrique. Bien que les Eglises d’institution africaine connaissent un immense développement, vous n’en entendez parler dans la presse que si elles provoquent de graves troubles sociaux.

Martin Conway
Oxford, Angleterre


C’était une joie pour moi de recevoir à nouveau la Lettre sur l’évangélisation. J’ai particulièrement apprécié le résumé du rapport de l’Eglise d’Angleterre sur la Décennie de l’évangélisation. Je pense à ce que les changements dans les méthodes d’évangélisation contemporaine vont signifier pour mon ministère.

Le pasteur Kuruvilla Chandy
Luckow, Inde


Après avoir lu la rubrique "Contributions de la base", il m’a semblé que la Lettre sur l’évangélisation était un bulletin qu’il fallait absolument faire lire à ceux qui sont activement engagés dans un travail d’évangélisation. Je vous fais donc parvenir l’adresse de deux prêtres de ma connaissance.

Mme Elizabeth Padillo-Olesen
Cebu City, Philippines.


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