No. 1 - janvier 2000

Chers amis,

La date qui a marqué notre passage dans le vingt-et-unième siècle nous a offert une occasion privilégiée de réfléchir à beaucoup de choses, d’espérer, de rêver aussi. Personnellement, j’ai eu envie de rêver un peu à la forme que pourrait prendre notre témoignage évangélique dans le nouveau millénaire. Permettez-moi, dans ce premier numéro de la Lettre oecuménique sur l’évangélisation de l’an 2000, de vous raconter quelques-uns de mes rêves.

Dans mes rêves sur l’évangélisation dans le nouveau millénaire, je nous ai vus surfer sur Internet, accéder aux archives des bibliothèques, et consulter des livres d’histoire pour découvrir ce qu’on entendait dans les Eglises par « département de l’évangélisation » ou « unité sur l’évangélisation ». Nul ne se souvenait de l’époque où l’évangélisation était comprise comme une « activité » exigeant une langue et des capacités spéciales, et nul d’entre nous ne dépendait d’experts en évangélisation pour faire le travail à notre place.

Nous avions compris que l’action rédemptrice de Dieu en faveur de l’humanité s’exprime dans les joies et les peines de la vie quotidienne, et nous semblions particulièrement conscients du potentiel qui existe en nous et autour de nous de diffuser le récit empli d’espérance de l’amour divin en Christ.

Partout dans le monde, les Eglises et organismes missionnaires s’étaient promis de ne jamais considérer les gens comme des moyens en vue d’une fin quelconque, même si cette fin était une bonne évangélisation ! Le « prosélytisme » tel que les Eglises avaient l’habitude de le comprendre avait cessé d’exister (le concept lui-même avait été repris par les grandes compagnies internationales qui ne l’utilisaient qu’en relation avec le recrutement de cadres supérieurs). Même si nous avions tendance à célébrer la croissance à l’aune de l’obéissance au Christ plutôt qu’en fonction de la simple augmentation du nombre des membres, ceux qui critiquaient les approches utilisées dans le témoignage des autres ne se servaient pas de cette critique comme d’une excuse pour ne pas communiquer la bonne nouvelle de Dieu.

J’ai vu que nous, en tant que peuple de Dieu, aspirions d’abord et avant tout à devenir nous-mêmes une nouvelle création. La parole, le sacrement et la communauté étaient notre nourriture sacrée, la liberté et la compassion de Jésus nous guidaient, et la puissance du Saint-Esprit nous ouvrait continuellement à la guérison, à l’émerveillement et à la beauté. Il était clair que notre style de vie était explicitement marqué par la charité et la compassion, et nous ne manquions aucune occasion de célébrer et de recevoir dans la joie Dieu, la vie et les autres. Certains disaient que l’estime toujours croissante que nous avions pour l’action de l’Esprit dans les adeptes d’autres religions montrait que nous avions intériorisé le dialogue entre les religions comme un élément essentiel de la vie chrétienne.

« Condamnations ? », « Individualisme ? », « Moi d’abord ? », « Qu’est-ce que c’est que ça ? », s’exclamait une femme témoin d’illustrations concrètes de l’amour miséricordieux du Christ dans la communion des chrétiens. Elle avait peine à croire ce qu’elle entendait ! Formée dans un contexte de concurrence sans frein, elle ne pouvait pas imaginer que les références et les performances ne comptent pas devant Dieu.

En ce moment, elle rendait visite à une communauté chrétienne qui pratiquait l’hospitalité et l’acceptation. Là, dans l’esprit du Christ, des personnes victimes du SIDA se sentaient en sûreté, des jeunes désemparés retrouvaient une orientation, une femme battue était prise en charge, les enfants étaient écoutés avec respect. Elle observait que le royaume de Dieu dont ils parlaient leur avait apporté la dignité et donnait un sens à leur vie. Elle avait envie d’en savoir plus sur cet Evangile face à face, coeur à coeur, qui se souciait des gens dans leur intégralité.

J’ai vu aussi les Eglises et le mouvement missionnaire en général encourager résolument les nouveaux modèles et styles de mission interactifs. Tous étaient d’accord sur le fait que les situations incroyablement complexes et changeantes du nouveau siècle exigent l’acceptation sans détour des risques inhérents aux nouvelles expressions de la fidélité à Jésus Christ, et chacun se préoccupait d’établir des liens avec les autres.

Ainsi, j’ai rencontré un grand nombre de missionnaires asiatiques qui, distinguant une nouvelle motivation dans le style de vie du Christ, avaient répondu à l’invitation à renoncer à la richesse pour exercer un ministère d’orientation spirituelle auprès des jeunes déçus par la vie. Les Eglises orthodoxes avaient ouvert des secteurs de leurs monastères les plus renommés pour servir de lieux de pèlerinage permanents ou de centres de retraite ouverts aux personnes aspirant à éprouver concrètement l’Esprit de Dieu et à se libérer du pouvoir du péché dans leur vie personnelle.

Des agents d’évangélisation africains et latino-américains étaient convaincus qu’ils avaient le devoir de communiquer la volonté de Dieu à l’égard de la vie humaine en exerçant un ministère de formation humaine et spirituelle solide auprès des marginalisés. De cette manière, ils voulaient suivre Jésus dans son « cheminement préférentiel » aux côtés des pauvres, et ils avaient le sentiment que c’était un moyen modeste mais efficace de combattre l’attrait trompeur du matérialisme croissant, et le vide existentiel causé par la perte de l’identité personnelle.

Dans un autre style de mission, certaines des meilleures ressources et capacités des Eglises de toutes les régions étaient mises en commun pour affronter collectivement les problèmes liés à l’économie mondiale, à la biotechnologie et à l’environnement. J’ai vu des équipes internationales de missionnaires présenter de nouvelles combinaisons de connaissances passionnantes. J’ai observé, travaillant côte à côte pour faire en sorte que les valeurs évangéliques influencent les réalités mondiales dominantes, des spécialistes de l’éthique et des scientifiques, des artistes et des agents de santé, des communicateurs et des évangélisateurs, tous désireux de transmettre leurs conclusions et leurs conseils aux Eglises locales. Dans un autre ordre d’idées, j’ai vu comment un réseau mondial de mouvements d’obéissance au Christ organisait une conférence électronique sur le thème « Paix avec Dieu, paix avec toute la création ».

Un élément frappant, commun à toutes ces expressions missionnaires, était leur qualité et leur intégralité. Tous ceux qui y étaient impliqués associaient des préoccupations pour le corps, l’âme et l’esprit à une solidarité profonde avec tout ce qui vit. Ils étaient également très soucieux de partager les uns avec les autres leurs perspectives, leurs résultats et leurs problèmes, et de coopérer partout où cela était possible. Naturellement, ils n’oubliaient jamais de se mentionner réciproquement dans leurs prières. La circulation de la communication entre eux et le sentiment d’appartenance commune se combinaient pour leur donner une extraordinaire énergie.

Dans mes rêves sur l’évangélisation, le caractère marginal et invisible des contributions des femmes à la proclamation de l’Evangile appartenait définitivement au passé. Les femmes étaient impliquées dans la définition des orientations et la prise des décisions, et vivement encouragées à développer leurs talents donnés par Dieu. Les Eglises orthodoxes avaient remis à l’honneur le diaconat des femmes, une femme afro-brésilienne était à la tête d’une grande association évangélique internationale, et on jugeait tout naturel que la majorité des responsables de sociétés bibliques soient des femmes.

Quand j’entendais des théologiens parler de la foi de l’Eglise apostolique, ils incluaient dans ce concept les manières dynamiques dont la foi chrétienne a été et continue d’être transmise par les femmes dans le cadre familial, communautaire et général. Des milliers de récits relatifs au témoignage fidèle et imaginatif des femmes avaient été recueillis dans toutes les régions, et les noms et actions de femmes évangélistes étaient célébrés comme partie intégrante de la vie de l’Eglise.

Dans un autre rêve, j’ai vu comment des Eglises et des chrétiens palpitaient de vie nouvelle à la suite de l’élargissement marqué des occasions de rencontres et d’échanges interculturels. Les Eglises d’Océanie découvraient les aspects stimulants de l’Evangile par leur engagement auprès des communautés d’Asie. Les rivalités entre Africains de différents groupes ethniques fondaient. Les Eglises attachées aveuglément à leur identité nationale ou ethnique apprenaient à faciliter l’expression des aspects critiques de l’Evangile.

Au Canada, aux Etats-Unis, en Australie et au Royaume-Uni, les communautés chrétiennes formées de personnes de différentes régions géographiques vivant côte à côte avaient appris à surmonter les intérêts étroits de l’instinct de conservation. Auparavant, elles créaient des espaces de partage de la richesse de la bonne nouvelle de Dieu telle qu’elles la vivaient et l’expérimentaient. Désormais, elles allaient à la société environnante en s’adressant à elle de toutes sortes de manières convaincantes.

Aux Etats-Unis, par exemple, j’ai vu des Américains d’origine africaine, coréenne et latine organiser des petits déjeuners de prières dans les entreprises locales. En Australie, les Grecs, les Anglo-Saxons et les immigrants des îles du Pacifique montaient des expositions illustrant l’image du Christ dans leurs cultures respectives. Au Royaume-Uni, des chrétiens des Caraïbes se joignaient à leurs frères et soeurs d’Afrique pour former des associations de quartier soucieuses de s’investir en faveur des chômeurs et des personnes qui souffrent. Au Canada, des groupes avaient produit une série télévisée invitant les gens à étudier l’histoire de Jésus de Nazareth. Intitulée « Y a-t-il quelqu’un ici ? », elle mettait en scène un acteur autochtone fort connu et des enfants issus de divers contextes culturels.

Enfin, j’ai vu comment les expressions « évangélisation » et « annonce de l’Evangile » commençaient à résonner beaucoup plus comme de la musique et beaucoup moins comme des « termes à la mode » aux oreilles de millions de personnes privées de pouvoir économique et politique. Par l’éternelle nouveauté de l’Evangile, elles avaient découvert le don de vie et de salut de Dieu, et l’appel qu’il lance à chacun de développer sa pleine humanité. A la suite de cela, d’innombrables Dalits, membres de populations tribales, habitants de taudis et migrants se trouvaient eux-mêmes en première ligne du renouveau culturel, de la revitalisation de l’Eglise et de la proclamation du message de la volonté libératrice de Dieu.

Une multitude de ceux qui, précédemment, s’étaient trouvés aliénés de leur culture par une mission mal comprise exprimaient leur joie d’avoir découvert la solidarité profonde du Christ avec eux, et parlaient avec éloquence du pouvoir transformateur de la bonne nouvelle dans leur vie. « L’évangélisation, disaient-ils, nous aide à comprendre que nous faisons partie de la création et, en même temps, que nous sommes des citoyens de l’ère post-moderne qui, par la grâce de Dieu, croissent continuellement dans l’amour et la justice. »

Ces groupes étaient engagés activement dans la prière et le chant spontanés, le culte interactif et le ministère de guérison. Ils étaient aussi convaincus que la réalité captivante de la miséricorde de Dieu doit être partagée avec les autres. Ainsi, avec l’aide de quelques jeunes adultes appartenant à la classe « Génération Z », ils produisaient des matériels multimédias peu coûteux et attrayants, visant à aider les autres à regarder d’un oeil neuf l’histoire de Jésus Christ dans les Evangiles.

C’était ce groupe, d’ailleurs, qui avait lancé le bruit selon lequel, dans le nouveau millénaire, les discussions sur le caractère approprié des distinctions subtiles entre les suffixes « -isme » et « -ation » deviendraient inutiles. Ils croyaient pleinement que le concept de l’Evangile reprendrait sa place centrale et son sens profond : une nouvelle extraordinairement bonne, libre de toute contrainte.

Comme vous le voyez, je n’ai pas voulu écouter ceux qui affirment qu’il est faux et arbitraire de se référer au début d’un nouveau millénaire. Si les rêves tels que ceux que je viens de raconter ici peuvent être inspirés par une date au parfum magique, nous devons nous en montrer reconnaissants.

Puissions-nous, en cette année 2000, acquérir la force d’incarner notre espérance dans le royaume de Dieu de telle sorte que le gouffre entre les rêves et les réalités du ministère de l’évangélisation se comble peu à peu.

Paz y bien,

Pasteur Ana Langerak
Secrétaire à l’Evangélisation


P.S. Dans ce numéro, j’ai le plaisir d’inclure quelques contributions substantielles tirées de la pratique. Je suis certaine que vous y trouverez des sources de réflexion stimulantes. Pour des raisons de place, une partie du courrier des lecteurs récemment reçu est reportée au prochain numéro. ?

CONTRIBUTIONS DE LA BASE

Ce que nous présentons ici est assez unique ; il s’agit en effet d’un « débat » entre trois spécialistes de la théologie et la pratique de l’évangélisation, sur les perspectives ouvertes par Tito Paredes dans son récit, « Une Eglise missionnaire qui chante » (juillet 1999). Martin Conway, Juan Sepúlveda et Jesse Mugambi nous livrent les réflexions que leur a inspirées l’émouvant témoignage de Tito sur la manière dont les populations quechua sont en train de redécouvrir leurs traditions culturelles et de les utiliser pour donner vie à l’expression de leur foi chrétienne.

Martin Conway, personnalité éminente du mouvement oecuménique et théologien respecté de l’Eglise d’Angleterre, a lancé ce débat en nous soumettant une analyse intéressante de ce qu’il appelle « l’effet de génération », et en nous chargeant de solliciter les commentaires d’un ou deux missiologues du Sud.

C’est ce que nous avons fait. Nous avons envoyé l’analyse de Martin à deux grands théologiens de la mission : Jesse Mugambi, professeur de philosophie et d’études religieuses à l’Université de Nairobi, Kenya, et Juan Sepúlveda, pasteur pentecôtiste et professeur de missiologie à la Communauté de théologie protestante du Chili, en leur demandant de nous faire part de leurs réactions à la lumière de la situation missionnaire dans leurs régions respectives. Ils ont gentiment accédé à notre demande.

Nous vous livrons donc le contenu de ce débat en quatre volets : l’analyse de Martin, les judicieuses observations de Jesse et de Juan et une rapide conclusion de Martin.

MARTIN CONWAY

Je me demande quels parallèles on peut établir entre ce qu’on lit dans l’excellent compte rendu de Tito Paredes et « l’effet de génération » que je crois très répandu en Afrique et dans une certaine mesure en Chine. Voici en quoi il consiste :


Comme je ne suis, au mieux, qu’un étranger bienveillant, pourriez-vous charger un ou deux missiologues du Sud de nous faire part des commentaires que leur inspire cet « effet de génération » ?

JESSE MUGAMBI

Après avoir lu l’hypothèse de Martin, je pense que l’évangélisation est un processus plus complexe qu’il ne le laisse entendre.

Dans son ouvrage New Testament Survey, Merryl C. Tenney parle des trois phases de la mission : « introduction, propagation et stabilisation ». J. V. Taylor, qui a été missionnaire en Afrique pendant de longues années, observe aussi un processus en trois étapes : « adhésion, détachement et crise ». L’analyse de Martin est plus proche de la description de Taylor que de celle de Merryl Tenney.

J’ai traité de cette question de l’évangélisation de manière assez approfondie dans certaines de mes publications, et les recherches que j’ai effectuées m’ont amené à la conclusion que ces phénomènes sont plutôt simultanés que consécutifs. Voici ce que j’écrivais il y a vingt-cinq ans :

« En Afrique de l’Est, ces trois phénomènes se déroulent en même temps. Ainsi, il y a des régions où on est en train d’introduire le christianisme, d’autres dans lesquelles il a déjà été introduit et où il se propage et où, en même temps, des théologiens, des pasteurs, des enseignants et des responsables laïcs ont entamé une réflexion, cherchant à définir la nature, le rôle et la direction que devait prendre l’Eglise face aux défis du monde contemporain. »

Dans mon expérience, le processus missionnaire suscite tout à la fois l’acceptation, le rejet et l’indifférence. Ceux qui acceptent l’Evangile tel que le prêchent les missionnaires et leurs agents locaux, interpréteront le message qu’ils reçoivent à leur façon, en fonction des stratégies missionnaires employées. Ainsi, dans certaines régions, les structures ecclésiales qui ont été imposées peuvent demeurer inchangées pendant des siècles, tandis que dans d’autres, les Eglises d’origine étrangère seront l’objet de critiques et modifiées dans l’espace d’une seule génération.

Les politiques éducatives déterminent très souvent la manière dont le christianisme est perçu et reçu. Dans les anciennes colonies portugaises, françaises et belges d’Afrique tropicale, la politique d’assimilation exigeait des convertis africains qu’ils abandonnent leur culture « primitive » pour pouvoir être admis comme des êtres « évolués » ou « assimilados ». Cette politique a prévalu pendant de nombreuses générations et la décolonisation n’a pas changé grand chose à cet état de fait.

Dans les anciennes colonies britanniques, la politique du « gouvernement indirect » a fait que les convertis africains ont eu la possibilité de critiquer la politique missionnaire dès la première génération. C’est ainsi que Jomo Kenyatta a pu publier son célèbre livre Au pied du mont Kenya, critique des missions protestantes britanniques au Kenya issue de la première génération. A. J. Temu, dans son ouvrage British Protestant Missions montre que, dès le début du 20ème siècle, les Africains critiquaient déjà les préjugés du missionnaire britannique moyen qui travaillait au Kenya à cette époque. En Afrique australe, soumise elle aussi à la politique britannique du « gouvernement indirect », il y a eu beaucoup d’Africains de cette première génération de convertis pour critiquer l’entreprise missionnaire. Il en va de même en Afrique de l’Ouest, en particulier au Ghana et au Nigéria.

Les raisons de l’acceptation, du rejet et de l’indifférence sont multiples. La plupart du temps, l’acceptation tient à « l’offre » qui accompagne telle ou telle marque de christianisme, et de la manière dont elle se compare à celles des autres marques à disposition. Les convertis adoptent la marque qui les aide à faire face à la menace que l’invasion culturelle fait peser sur leur survie. Si elle ne les aide pas, la marque est rejetée. Si son action est nulle, les convertis potentiels demeurent indifférents.

Maintenant, comment dégager le sens théologique de ces mécanismes ? On les discerne déjà dans le Nouveau Testament, dès l’inauguration de la communauté chrétienne par Jésus. Les disiciples ne formaient pas un groupe homogène. Ils avaient des personnalités bien différentes. Les gens que Jésus a rencontrés différaient aussi dans leurs intérêts et leurs comportements, et Jésus traitait chacun d’eux individuellement. Le Livre des Actes rend compte de la grande diversité des réactions à l’Evangile, de l’acceptation enthousiaste au scepticisme des Epicuriens.

En Grande-Bretagne, il a fallu près d’un millénaire pour que le christianisme romain soit mis en question, et même là, il semble que l’initiative soit venue davantage de la Couronne que des laïcs. Il a fallu Martin Luther et les autres réformateurs pour soumettre le christianisme romain à la critique en Europe occidentale et septentrionnale.

On peut donc en conclure que « l’effet de génération » est une hypothèse trop simple pour expliquer les phases d’acceptation, de rejet et d’indifférence que l’on détecte partout où l’action missionnaire chrétienne a eu quelque influence.

JUAN SEPÚLVEDA

Je pense que les observations de Martin Conway concernant « l’effet de génération » en référence à l’article « Une Eglise missionnaire qui chante », ont du sens dans certaines situations spécifiques. Cependant, dans toute cette question - comment les nouveaux convertis relient-ils consciemment l’Evangile à la culture originale ou traditionnelle ? - deux autres facteurs au moins méritent notre attention.

Le premier tient à l’attitude du ou des missionnaires face à la culture locale, originale ou traditionnelle. Le rejet de la tradition locale par la première génération de convertis ne vient pas forcément de leur désir « d’élargir leur vision du monde » mais de la tendance qu’ont les missionnaires à « diaboliser » la plupart des aspects de la culture locale. Comme le dit Tito Paredes : « On (les missionnaires évidemment) avait appris aux chrétiens quechua à rejeter certains aspects précieux de leur propre culture ».

Un autre facteur important est le temps qu’il faut à la mission pour créer un espace qui permette véritablement aux chrétiens locaux d’avoir part à la direction de l’Eglise, à l’éducation chrétienne et à la réflexion théologique. Tant que les missions fixent les normes de ce qui constitue le vrai culte chrétien et la vraie vie chrétienne, la liberté ou non de remettre à l’honneur la musique et les cérémonies traditionnelles dépend davantage des missionnaires que des convertis locaux.

Le pentecôstisme chilien illustre bien ces deux facteurs. Ici, le mouvement pentecôtiste est enraciné dans l’expérience de l’Eglise pentecôtiste qui est autonome depuis le début, mais dont le leader - qui l’a servie pendant une vingtaine d’années - a continué d’être un ancien missionnaire méthodiste. Ainsi, même si le processus inconscient de « chilénisation » s’est amorcé dès le début du pentecôtisme, le processus conscient - introduire délibérément les instruments et la musique de la culture mestizo chilienne dans le culte - lui, n’a commencé que lorsque le missionnaire fondateur a perdu son influence. Il est important de noter que cela s’est déroulé alors que les Chiliens aux commandes étaient encore des convertis de la première génération. Il semble qu’il s’est produit un phénomène très similaire avec ce que l’on appelle les « Eglises d’institution africaine ».

En résumé, je voudrais dire que l’avis de Martin sur « l’effet de génération » s’applique peut-être mieux aux Eglises missionnaires dépendantes.

MARTIN

Je remercie vivement Jesse et Juan d’avoir réagi à ma très sommaire hypothèse concernant l’existence d’un écart de « génération » entre la réception et l’inculturation de la foi chrétienne. Il m’ont été d’une aide précieuse, m’apportant des précisions et me suggérant des rectifications sur la base de leurs situations respectives.

Je suis reconnaissant en particulier pour l’observation de Jesse, selon laquelle « l’acceptation, le rejet et l’indifférence ont souvent eu lieu en même temps », et pour la remarque de Juan qui nous rappelle que la volonté d’employer les talents culturels et les intruments locaux dépend généralement de l’attitude des premiers missionnaires. J’accepte avec joie ces deux rectifications ainsi que les autres suggestions.

Je persiste toutefois à penser que souvent (en aucun cas toujours ni forcément) il y a eu des différences importantes entre la manière dont un premier groupe de chrétiens comprend et traduit en actes l’Evangile, et la manière dont le font, à leur tour, leurs descendants, deux ou trois générations après, dans le même lieu.

Bien sûr, la transformation des générations est un phénomène universel ; il est rare en effet qu’une génération soit la copie conforme de celle qui l’a précédée (et cela est d’autant plus vrai à une époque comme la nôtre marquée par des changements rapides). Au Royaume-Uni, par exemple, où l’on assiste à la rapide américanisation d’une part très importante de notre vie culturelle, il ne serait pas impensable que certains membres de la présente génération de parents et grands-parents s’inquiétent de constater à quel point leurs enfants et leurs petits-enfants acceptent mieux les versions américaines de la foi chrétienne que leurs vieilles traditions britanniques.

La relation exacte entre foi et culture progresse et progresse encore, selon des voies qui ne seront jamais totalement prévisibles. Pourtant, il est toujours intéressant de voir ce qui se produit et d’essayer de deviner comment cela servira ou non le Royaume qui est le dessein de Dieu! ?

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