No 1: juillet 2003

Chères amies, chers amis,

De Genève, paix et salutations!

Je voulais simplement «faire le point» avec vous tous car, depuis la publication de la Lettre sur l’évangélisation de l’an dernier, il s’est passé beaucoup de choses, tant dans ma vie professionnelle que dans la vie du Conseil œcuménique des Eglises.

En décembre dernier, pour cause, notamment, de difficultés financières, le Conseil a procédé à une réorganisation interne. C’est ainsi que les équipes «Education et formation œcuménique» et «Mission et évangélisation» ont été réunies pour former ce qui s’appelle désormais l’équipe «Mission et formation œcuménique» (MFO). J’en ai été nommé coordinateur et c’est là une responsabilité que j’assume volontiers. Je resterai cependant chargé du programme «Evangélisation».

A Genève, les activités vont bon train: le Comité central du Conseil œcuménique des Eglises doit se réunir en août et, notamment, élire le nouveau secrétaire général. Nous avons commencé à préparer la prochaine Conférence mondiale sur la mission et l’évangélisation qui aura lieu à Athènes (Grèce) en 2005.

J’espère que cette lettre vous trouvera tous en bonne santé; rappelez-vous que toutes les contributions que vous pourrez apporter aux prochaines Lettres seront les bienvenues. J’espère aussi que vous trouverez utile cet article sur l’évangélisation en Chine.

En Christ


Pasteur Carlos Emilio Ham
Coordinateur
Equipe «Mission et formation œcuménique»


No. 1 - juillet 2003

Annoncer la Bonne Nouvelle dans un esprit œcuménique - L’évangélisation en Chine
Réflexions sur la visite en Chine d’une équipe du COE, 19 – 30 mars, 2003

La visite
Depuis que le Conseil chrétien de Chine (CCC) a adhéré au Conseil œcuménique des Eglises (COE) lors de la Septième Assemblée, en 1991, plusieurs visites en Chine ont été organisées et plusieurs réunions ont eu lieu avec des représentants du CCC. Dans la plupart des cas, les discussions ont essentiellement porté sur les questions touchant la liberté religieuse, les droits de la personne et la situation politique en Asie du Nord-Est, par exemple la question de Taiwan.

Après la visite du secrétaire général du COE en 1994 et celle d’une délégation du CCC au COE en 1995, une équipe œcuménique s’est rendue en Chine à l’initiative de l’équipe « Relations internationales » du COE en mai 1996. En 2000 et 2001, trois réunions sur la paix et la sécurité en Asie du Nord-Est ont été organisées sous les auspices de l’équipe « Relations internationales », respectivement à Tokyo, Kyoto et Hong Kong.

Récemment, un groupe de membres du personnel du COE s’est rendu en Chine dans l’intention, surtout, de discuter des domaines dans lesquels on pourrait envisager de nouvelles possibilités, pour le CCC, de coopérer aux programmes du COE et de participer plus activement à la vie et aux activités du COE. Un autre objectif était de permettre au COE de faire connaissance avec les nouveaux responsables du CCC, élus à la Septième Conférence chrétienne de Chine, qui s’est tenue du 22 au 27 mai 2001.

A la suite de discussions plus poussées avec Mathews George, du Secrétariat de l’Asie au COE, et avec la pasteure Gao Ying, qui représente le CCC au Comité central, notre collègue Huibert van Beek, de l’équipe « Relations avec les Eglises et la communauté œcuménique », a pris contact avec les équipes « Foi et constitution » et « Mission et formation œcuménique », qui ont donné une réponse positive à la proposition de faire une nouvelle visite en Chine. Voici comment a été défini l’objectif général de cette visite :

Renforcer les relations et la coopération entre le COE et le Conseil chrétien de Chine afin que le COE puisse entendre ce que le CCC a à lui dire et ainsi mieux répondre à ses besoins et à ses attentes, et que le CCC puisse participer plus pleinement à la vie et aux activités du COE.

A cela venaient s’ajouter des objectifs spécifiques :

Discuter prioritairement des thèmes de l’ecclésiologie et du culte (dans une Eglise post-dénominationnelle), de la mission et de l’évangélisation (y compris le prosélytisme), des relations œcuméniques, de la formation œcuménique et de l’enseignement de la théologie.

Les responsables du CCC ont bien accueilli ce projet de visite et ont proposé qu’elle ait lieu avant la visite que leur délégation devait faire au COE à fin avril 2003. On a fini par se mettre d’accord sur les dates du 19 au 30 mars 2003, et le CCC a alors proposé un itinéraire et un programme. La délégation du COE était composée des personnes suivantes : Simon Oxley (« Education et formation œcuménique »), Kersten Storch (« Foi et constitution »), Huibert van Beek (« Relations avec les Eglises et la communauté œcuménique ») et Carlos Ham (« Mission et évangélisation »).

La délégation était accompagnée par le pasteur Bao Jiayuan, secrétaire général adjoint du CCC et directeur du Bureau de Nanjing, qui a fait fonction de guide, d’interprète et d’« homme à tout faire » – mais qui fut aussi un ami dès le premier jour.

Dans le cadre de ce programme, nous avons visité plusieurs églises (tant en ville qu’à la campagne), séminaires, imprimeries et foyers pour personnes âgées, le siège d’Amity Foundation ainsi qu’un certain nombre de sites d’intérêt culturel et historique à Shanghai, Ganzhou, Wuxi, Nanjing et Beijing. 1.

La délégation était l’invitée à la fois du CCC et du Mouvement patriotique des trois autonomies (MPTA)2, et elle a été chaleureusement reçue dans les bureaux de ces organisations le 20 mars. Assistaient à cette rencontre le pasteur Cao Senjie, président du CCC, et le presbytre Ji Jianhong, président du MPTA, les vice-présidents et plusieurs responsables de ces deux organisations, ainsi que des représentants du Conseil chrétien et du MPTA de Shanghai. La délégation a commencé par expliquer la nature et l’objectif particuliers de cette visite, qui constituait quelque chose de nouveau pour certains de nos hôtes mais dont tous se sont félicités. Puis nous avons eu une discussion très riche sur le témoignage de la minorité chrétienne dans la société socialiste chinoise, sur les moyens d’établir les bases communes d’une Eglise post-dénominationnelle pour qu’elle puisse devenir une Eglise véritablement unie et véritablement chinoise, ainsi que sur les concepts de « reconstruction théologique »3 et de contextualisation.
Evangélisation et Eglise post-dénominationnelle

Le point culminant de toute cette visite fut une conversation de deux heures et demie avec l’évêque K. H. Ting, qui reçut la délégation chez lui, à Nanjing. Agé de 89 ans, l’évêque Ting est toujours président du Séminaire uni de Nanjing et l’un des vice-présidents de la Conférence consultative politique nationale. En outre, il est sans conteste le mentor spirituel des Eglises appartenant au CCC. Il nous a expliqué que, au cœur du concept de reconstruction théologique qu’il défend, il s’agit de réévaluer la place de la doctrine de la « justification par la foi » dans la pensée des Eglises de Chine. Les missionnaires ont prêché un message de salut pour les croyants et de perdition pour tous les autres. Cela est profondément ancré dans l’esprit des chrétiens de Chine, en particulier à la campagne, où sont implantées la plupart des Eglises. Ainsi, les gens sont divisés en deux catégories : les « sauvés » et les « perdus ». Or la Chine a besoin d’unité et non de division.

La « justification par la foi » ne constitue pas la totalité de la doctrine chrétienne. Il y a d’autres dimensions de l’enseignement biblique qu’il faut mettre en valeur dans le contexte chinois, par exemple l’amour de Dieu qui s’adresse à tous. L’évêque Ting a fait le lien entre cette réflexion et l’anthropologie chrétienne. L’être humain est sujet à la création permanente de Dieu. Il ne faut pas que la théologie condamne l’être humain comme complètement mauvais. La Chine compte de nombreux dirigeants qui ont une conduite morale exemplaire. Le christianisme doit présenter au peuple chinois un Dieu d’amour et laisser la place à la raison et à la réflexion, en dialogue avec la culture chinoise. L’enseignement de la théologie devrait aider les pasteurs à acquérir une théologie plus éclairée.

A ce propos, l’évêque Ting a parlé des « chrétiens culturels » – ces intellectuels chinois qui s’intéressent au christianisme et qui se réunissent officieusement en groupes de discussion et d’étude biblique. Si quelques-uns finissent par adhérer à l’Eglise, beaucoup ne le font pas. Les théologiens et pasteurs chinois devraient être capables de dialoguer avec les personnes appartenant à ces milieux. L’évêque Ting qualifie ces relations avec les intellectuels chinois d’« évangélisation inorganisée ». Il a déclaré : « Les intellectuels de Chine veulent apprendre des choses nouvelles, comme le christianisme. Autrefois, ils étaient hostiles au christianisme mais, maintenant, ils sont tout à fait disposés à écouter ce que les chrétiens ont à dire. Ils sont curieux, certains apprécient la musique de nos Eglises et ils nous posent beaucoup de questions profondes. C’est une expérience mouvante. Même si beaucoup d’entre eux ne s’intéressent pas à l’Eglise, c’est là une expression et un aboutissement importants de l’évangélisation. »

Quant au concept d’Eglise post-dénominationnelle, l’évêque Ting nous en a présenté un aperçu historique très utile. A l’époque de la libération (1949) et de la guerre de Corée, l’unité du peuple chinois devint un impératif. De ce fait, les Eglises furent contraintes de réfléchir sur l’absence d’unité de leurs dénominations et institutions. Elles décidèrent, entre autres mesures, de créer le Séminaire uni de Nanjing. Progressivement, les chrétiens de Chine en sont venus à considérer l’unité dans une perspective théologique. Actuellement, nombre d’Eglises ne veulent plus être rattachées à des dénominations, et pourtant elles ne sont pas encore complètement unies. Le meilleur terme pour décrire l’état où elles se trouvent actuellement est celui d’union « post-dénominationnelle ».4, On pourrait dire que le CCC est une Eglise en voie d’union mais pas encore une Eglise unie. On y trouve plusieurs groupes qui ont encore du mal à accepter ce concept et qui n’ont, avec le CCC, que des relations partielles, par exemple le Petit Troupeau, la Vraie Eglise de Jésus et les adventistes du Septième Jour. Ces trois groupes entretiennent de bonnes relations avec le MPTA, qui n’a aucune prétention d’ordre ecclésiologique. Quant à leurs relations avec le CCC, elles passent notamment par la distribution de bibles.

Les membres de la délégation du COE ont été frappés par le fait que la tâche d’évangélisation s’accomplit dans ce contexte « post-dénominationnel » et que, partant, elle se fait d’une manière œcuménique. Le CCC ne conçoit donc pas l’évangélisation comme du prosélytisme. Dans ce contexte, évangéliser, ce n’est donc pas faire plus de presbytériens, de méthodistes, d’anglicans ou d’orthodoxes. Il s’agit de faire connaître la Bonne Nouvelle dans une société socialiste en mutation rapide, une société qui a besoin de la nouveauté de l’Evangile, indépendamment des frontières confessionnelles restrictives.

Les Eglises et la population chinoises sont soumises à la pression des Eglises de l’extérieur qui veulent établir (ou restaurer) leurs dénominations et qui ont chacune leur propre programme de mission et d’évangélisation. Face à ce défi, l’une des plus grandes richesses de l’Eglise de Chine est le Mouvement patriotique des trois autonomies (MPTA), que nous avons évoqué précédemment. Les trois piliers de ce mouvement (autogestion, autofinancement et mission autonome) « ont été très profitables à l’Eglise, dans la mesure où ils lui ont permis d’exprimer la vérité de l’Evangile, d’affirmer notre indépendance nationale et d’assurer la stabilité de l’ordre social. Manifestement, ce mouvement a permis de concrétiser les enseignements de la Bible : glorifier Dieu et servir l’humanité tout entière » (cf. 1 Co 9,20-21 ; Mt 6,16). 5.

Relever de nouveaux défis : l’évangélisation dans une société en mutation rapide

La délégation a noté que les Eglises de Chine sont confrontées à deux défis fondamentaux, auxquels elles doivent trouver des réponses originales. Le premier est la croissance numérique et le second la recherche de l’unité. On pourrait en ajouter un troisième : comment devenir une Eglise chinoise dans une société qui est socialiste, qui a un héritage culturel extraordinaire et qui connaît un processus de modernisation et de croissance économique rapides. Tout avis porté de l’extérieur et toute tentative d’accompagner les Eglises de Chine devraient tenir compte de ces réalités et prendre acte des moyens employés par l’Eglise de Chine pour essayer de relever ces défis.

L’extraordinaire renouveau que la foi chrétienne connaît actuellement en Chine – essentiellement en raison de la politique plus ouverte de l’Etat envers la religion en général – a de profondes répercussions sur les activités missionnaires et évangélisatrices de l’Eglise. Voici comment le Catéchisme du CCC6 définit la « mission de l’Eglise sur la terre » :

a) Guider les chrétiens, permettre à tous de parvenir « tous ensemble à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude » (Ep 4,11-13).
b) Témoigner du Christ, prêcher l’Evangile et amener les êtres humains au Seigneur (cf. Mc 16,15).
c) Faire fonction de « chandelier d’or » : faire en sorte que la lumière de la vérité de Dieu illumine le monde au travers de l’Eglise, faire connaître ce qui est bien, promouvoir la justice, combattre l’erreur et dissiper les ténèbres (cf. Mt 5,14-16 ; Ap 1,12-13).
d) Servir les êtres humains et servir la communauté, ainsi que l’a fait Jésus (cf. Mc 10,45 ; 1 P 4,10-11) 7 .

Voici maintenant un extrait d’un article publié dans le numéro de mars 1999 de Tian Feng (qui est la publication de l’Eglise de Chine), consacré à un « symposium sur la mission autonome qui a eu lieu à Shanghai en novembre 1998, rassemblant plusieurs participants venus de toutes les régions de Chine et de tous les niveaux de l’Eglise, qui sont venus donner leur avis sur la manière dont l’Eglise de Chine doit assumer sa tâche d’évangélisation aujourd’hui.

Tous les participants à ce symposium sont convenus de dire que la raison d’être fondamentale de toute Eglise est de diffuser l’Evangile et d’amener les hommes à la connaissance de Dieu. Tong Yiqiang, de la province de Ningxia, a déclaré que la mission autonome est précisément l’aspect des « trois autonomies » qui distingue l’Eglise des autres organisations constitutives de la société. Dans la société, toute unité de travail ou organisation cherche à bien se gouverner et à assurer son autonomie financière ; mais seule l’Eglise cherche, en outre, à diffuser un message de Bonne Nouvelle. Dans le même sens, Gao Siquan, de la province du Sichuan, a la conviction que, si la mission autonome est bien faite, les deux autres autonomies – autogestion et autofinancement – se réaliseront d’elles-mêmes. Si les fidèles reçoivent un enseignement bon et solide sur la foi, alors ils soutiendront avec plus d’enthousiasme une Eglise qui leur donne ce dont ils ont besoin. En conséquence, la mission autonome est l’élément clé dont dépend tout le reste de la vie et de l’activité de l’Eglise.

Comme le fait remarquer Jin Xuezhe, de la province de Liaoning, au cours de son histoire récente, l’Eglise s’est concentrée sur différents aspects des « trois autonomies ». Dans les années 1950, alors que l’Eglise venait de rompre ses liens avec les sociétés missionnaires étrangères, on a considéré que les domaines qui devaient l’occuper en priorité étaient l’autogestion et l’autofinancement, dans la mesure où l’Eglise voulait affirmer son indépendance. Dans les années 1980, après une période marquée par de nombreux conflits et difficultés, les portes de l’Eglise se sont rouvertes et on a mis l’accent sur l’évangélisation.

Mais maintenant, avec l’énorme augmentation du nombre des fidèles, l’autogestion et l’autofinancement mobilisent l’essentiel du temps et des énergies de ceux qui travaillent dans l’Eglise et pour elle, car il s’agit de satisfaire aux besoins immédiats de paroisses en pleine croissance. Le pasteur Cao Shengjie, de Shanghai, fait remarquer que, à l’heure actuelle, l’Eglise donne la priorité à la construction d’églises, à la création de comités de gestion, à la formation de groupes, etc. De même, en matière d’évangélisation, l’accent est mis sur des éléments purement pratiques : comment rédiger et prononcer un sermon, quel ton adopter en chaire, comment communiquer le message, etc. Toutes ces choses sont certes utiles et nécessaires mais, comme le souligne le pasteur Cao, en donnant trop d’importance à ces considérations, on risque de négliger la réflexion sur le contenu du message de l’Eglise.

Sur le fond, le message de l’Evangile est immuable et intemporel. Cela dit, la manière dont ce message est présenté et interprété est fonction du temps et du lieu, ainsi que des circonstances dans lesquelles il est transmis. Pour le pasteur Cao, les évangélistes chinois ne doivent pas se contenter de s’inspirer de livres écrits il y a longtemps ou par des théologiens étrangers : en effet, la perspective présentée dans ces livres ne correspond peut-être pas au contexte chinois actuel. Si les évangélistes prennent ces textes pour modèles, leur message risque de donner lieu à des malentendus ou à des erreurs d’interprétation ou même, tout simplement, d’être rejeté parce qu’il n’est pas « adapté » à la réalité de la Chine d’aujourd’hui et ne « parle » tout simplement pas à ceux qui l’entendent.

Dans le même sens, le pasteur Wang Weifan, de la province de Jiangsu, fait valoir qu’il est essentiel que les fidèles chinois fassent personnellement l’expérience des vérités de l’Evangile dans leur vie, et qu’ensuite ils diffusent la Bonne Nouvelle en s’inspirant de leur vécu. Le pasteur Wang a la conviction qu’un témoignage rendu par un fidèle chinois sur la manière dont le message de l’Evangile a réellement transformé sa vie peut atteindre beaucoup plus de gens, en Chine, qu’un message repris d’un quelconque manuel de théologie occidental.

Enfin, Lin Zhihua, de la province de Fujian, rappelle aux évangélistes qu’ils doivent, pour ceux qui les écoutent, essayer d’établir des liens entre le monde moderne et le monde de la Bible. Pour ce faire, les évangélistes doivent s’informer autant que possible de ce qui se passe dans le monde qui les entoure et dans la vie de ceux qui viennent les écouter prêcher. Il leur faut alors essayer de trouver un moyen d’appliquer les vérités bibliques et éternelles aux situations dans lesquelles se trouvent leurs auditeurs. Lin Zhihua cite Charles Spurgeon, prédicateur du XIXe siècle, qui, lorsqu’on lui demandait comment il préparait un sermon, répondait : « Dans une main, je prends la Bible et, dans l’autre, je prends un journal. » Dans le même sens, prêcher des sermons qui convenaient il y a plusieurs décennies ne touchera aucunement des Chinois confrontés aux problèmes des années 1990. Les gens viennent écouter les évangélistes parce qu’ils veulent entendre quelque chose qui soit en rapport direct avec ce qu’ils sont et ce qu’ils vivent. Si les évangélistes se contentent de jeter un tas de citations bibliques à la tête des gens mais ne sont pas capables de montrer comment la Bible peut s’appliquer à des situations vécues dans le monde actuel, alors les gens se détourneront et rejetteront l’Evangile, le considérant comme dépassé et inadapté. » 8

L’un des principaux moyens de diffusion de l’Evangile par les Eglises de Chine a été l’édition de millions de bibles. S’il est vrai qu’une bonne partie de la population chinoise est encore illettrée, de nombreux pasteurs et laïcs ont expliqué aux membres de la délégation que l’évangélisation se fonde tout naturellement sur les récits bibliques relatifs à Jésus.

A cet égard, lors de la visite de la délégation au Séminaire uni de Nanjing, on a expliqué que, dans son enseignement, ce séminaire cherche :

- à respecter le message central de la Bible,
- à faire le lien entre le texte biblique et le contexte local, et
- à se concentrer sur le mandat fondamental : faire connaître à tous la Bonne Nouvelle du salut.

Le Catéchisme du CCC exprime clairement le rôle de la Bible, outil essentiel de la mission et de l’évangélisation. En réponse à la question : « Pourquoi devons-nous lire la Bible ? », le Catéchisme répond :

Lire la Bible nous permet
a) de recevoir la vie en croyant que Jésus Christ est le Fils de Dieu (cf. Jn 5,39 ; 20,31) ;
b) d’acquérir la connaissance du salut ;
c) de comprendre la doctrine, d’être rectifié, corrigé et instruit sur ce qui est juste ;
d) d’être préparé et équipé pour toutes les bonnes œuvres (cf. Mt 7,7-8 ; 11,25) ». 9
Le sacerdoce universel de tous les croyants

Le problème de la « génération manquante », qui s’est manifesté chez les cadres et dans le clergé à la suite de la révolution culturelle (1965-1979) et des événements des années précédentes et qui a été particulièrement ressenti dans les années 1980 et 1990, commence à se résorber. Progressivement, les jeunes – dont beaucoup de femmes – prennent le relais dans les Eglises locales, les séminaires et les organes directeurs du CCC et du MPTA. Pour ce qui est de l’avenir, les occasions que pourra avoir cette nouvelle génération de faire des rencontres et d’acquérir de l’expérience dans le domaine œcuménique joueront un rôle déterminant.

L’augmentation du nombre des vocations pastorales chez les jeunes a suivi la courbe de croissance de l’Eglise mais, malgré cela, il n’y a pas encore suffisamment de pasteurs, et c’est précisément dans ce domaine que le mouvement des laïcs prend toute son importance pour la mission et l’évangélisation des Eglises.

Au cours d’une conversation avec les membres de la délégation, un pasteur a déclaré que le principe réformé du « sacerdoce universel de tous les croyants » est tout à fait adapté au contexte chinois dans la mesure où « tout chrétien chinois est un pasteur et donc aussi un évangéliste qui, à l’exemple de Jésus, établit des contacts personnels avec les gens. » De son côté, l’évêque Ting a dit à la délégation : « L’évangélisation se fait en grande partie parce que des gens amènent des amis à l’église, sans plan préconçu. »

Pour beaucoup de chrétiens, faire connaître la Bonne Nouvelle, c’est donner le bon exemple en actes, sous forme de témoignage silencieux dans la société. Comme un pasteur membre de l’équipe dirigeante du CCC a dit à la délégation, l’évangélisation, c’est « une présence chrétienne parmi les gens » ; pour illustrer cette définition, il s’est référé au passage de la Bible qui raconte la résurrection de Lazare par Jésus. Selon lui, à ce moment-là, Lazare s’est trouvé au milieu de la foule, sans dire un mot, mais son silence témoignait de la puissance de libération, de salut et de résurrection du Seigneur (Jn 11,42-44).

Le développement de l’« économie de marché » en Chine peut également être employé pour faire de l’évangélisation novatrice, comme dans le cas de Chen Zhongli, dont l’histoire est racontée dans un autre article de l’ANS. En voici un extrait :

« Lentement, Chen et son mari firent prospérer leur commerce. Leurs spécialités du nord du Jiangsu, comme les “boulettes pour la soupe” (tang bao), se vendaient bien et, après avoir ouvert un plus grand restaurant et en avoir acheté un autre, ils se trouvèrent propriétaires de deux grands établissements dans les bons quartiers de Nanjing. En janvier 2003, juste avant le Nouvel An chinois, ils ont ouvert une troisième succursale de leur restaurant A l’aigle d’or – un énorme bâtiment, remarquablement décoré, où travaillent une centaine de personnes : serveuses, cuisiniers et autres.

La caractéristique la plus originale peut-être de la dernière entreprise de Chen est sa tonalité chrétienne, qui s’exprime non seulement dans la décoration mais aussi dans la manière dont le restaurant est géré. Par exemple, les personnes qui viennent se restaurer au quatrième étage sont accueillies par des images chrétiennes, représentant notamment la Vierge et l’enfant, ainsi que le Christ sur la Grande Muraille. Une amie intime de Chen, qui a suivi l’évolution de ce projet de restaurant dans son groupe de prière, nous révèle : “Nous l’avons aidée à choisir les images”. De son côté, Chen affirme : “Mon groupe paroissial m’a beaucoup soutenue ; chaque fois que j’étais confrontée à un problème, il m’encourageait et priait pour moi.”
Chen, qui a maintenant 57 ans, est chrétienne depuis six ans. A la différence de beaucoup de fidèles chinois dont les premiers contacts avec le christianisme ont eu lieu à l’occasion de problèmes personnels ou de périodes de découragement, Chen s’est sentie attirée par le christianisme alors que ses affaires marchaient déjà bien. “Une jeune femme m’a parlé du christianisme, puis elle m’a amenée à un service de Noël. C’était merveilleux : quand j’ai entendu cette musique, je me suis sentie pleine de joie et libérée de tous mes soucis.”

Les employés du restaurant appellent Chen “tantine” et non “Madame la directrice”. Pourtant, quand on voit cette directrice modeste en contact avec ses employés, on comprend vite que son style particulier, attentif et chaleureux, ne fait que renforcer le respect qu’ils éprouvent pour elle. En outre, Chen tient à offrir à chaque nouvel employé une bible, lui demandant de se familiariser avec la pensée chrétienne.

“Lorsque nous avons discuté de la possibilité d’ouvrir un troisième restaurant, se rappelle Chen, je n’y ai mis qu’une condition : je voulais en faire un lieu chrétien, et j’ai dit à mon mari et à mes enfants que je ne voulais y voir aucun des dieux traditionnels de la richesse – qui ne sont rien d’autre que des idoles.”

Manifestement, pour Chen, il s’agit là d’un lieu où elle pourra atteindre des gens qui, normalement, ne mettraient jamais les pieds dans une église. “Les cadres ne fréquentent probablement jamais les services religieux, fait remarquer Chen ; par contre, ils aiment bien aller dans les restaurants chics.” Dans cette perspective, elle considère son travail comme une vocation : “Quand on a vraiment la foi, on apprécie le sens de chaque jour de travail”.

Mais l’engagement social de Chen ne se limite pas à son travail. Au travers d’Amity Foundation, elle finance les études d’une fillette qui risquait de devoir quitter l’école par manque d’argent. Et, malgré la multiplicité des obligations que lui impose son travail, elle trouve encore le temps de rendre visite à cette fillette. “J’ai l’intention de retourner la voir au printemps prochain”, dit-elle en souriant. » 10”.

Bien entendu, comme l’Eglise ne cesse de se développer et d’exercer une influence toujours plus grande sur la société, des laïcs prêchent la Bonne Nouvelle non seulement en actes mais aussi en paroles ; encore faut-il les y préparer. C’est ainsi que les Eglises chinoises consacrent une bonne part de leurs ressources et de leur énergie à former les laïcs et à les préparer à leur vocation. « C’est pourquoi nous avons formé de nombreux volontaires pour augmenter le nombre des prédicateurs »11. En fait, dans de nombreuses Eglises, on trouve non seulement des pasteurs mais encore des « évangélistes » : des frères et des sœurs qui sont spécialement préparés à exercer leurs fonctions dans ce domaine de la vie de l’Eglise.

« En Chine, le terme “évangéliste” est à peu près équivalent à celui d’“assistant pastoral”. Les évangélistes sont employés à plein temps par leur Eglise et ils ont reçu un enseignement théologique officiel, mais ils n’ont pas encore été ordonnés. En Chine, les diplômés du séminaire et de l’école biblique ne peuvent normalement pas être ordonnés avant d’avoir travaillé quelques années dans l’Eglise, et il n’est pas inhabituel que des membres du personnel permanent de l’Eglise travaillent comme évangélistes durant une assez longue période, voire pendant toute leur carrière. »12. La plupart du temps, ils sont affectés à des « points de rencontre »13, mais aussi, parfois, rattachés à une paroisse.
Dans les régions rurales, où vivent 80 pour cent des chrétiens de Chine, beaucoup de gens commencent à fréquenter l’église suite à une expérience de guérison. En fait, d’après certaines sources, 80 pour cent des personnes récemment converties sont venues au christianisme après une expérience surnaturelle de guérison. Plusieurs pasteurs et responsables d’Eglise nous ont confirmé cette réalité. Cela s’explique plus facilement du fait qu’il y a moins de soins médicaux dans ces parties du pays. Nous avons noté avec intérêt que, lorsque nous avons discuté de cette question avec l’évêque Ting, celui-ci a admis que les expériences de guérison peuvent attirer les gens dans les régions rurales mais, a-t-il ajouté, « ce n’est pas nécessairement de l’évangélisation ». Quoi qu’il en soit, on espère que le CCC sera en mesure d’apporter une contribution au processus de préparation de la Conférence mondiale sur la mission et l’évangélisation de 2005, et en particulier sur les thèmes de la guérison et de la réconciliation.

En dépit du remarquable développement du christianisme en Chine, les chrétiens ne constituent encore, dans ce pays, qu’une très faible minorité ; donc, il y a encore beaucoup à faire ! Et cela, non seulement du point de vue quantitatif, mais aussi du point de vue qualitatif. Dans les années 1910 et 1920, le christianisme a connu, en Chine, un développement et un renouveau remarquables dans le cadre du processus de modernisation que connaissait à l’époque ce pays, mais cet élan s’est épuisé. La même chose pourrait se produire aujourd’hui. La mission de l’Eglise, dans chaque société – et surtout dans une société en mutation comme c’est actuellement le cas en Chine –, reçoit de Dieu le pouvoir de fournir des instruments de « discernement pratique et critique » à la lumière de l’Evangile.

Voici, brièvement résumé, ce que, lors d’une de nos réunions, l’un des responsables de l’Eglise nous a dit à propos de la mission et de l’évangélisation :

  • Nous sommes une Eglise en pleine croissance (50 000 nouveaux chrétiens par an) ; l’évangélisation est faite par des chrétiens de base qui ont la charge de transmettre la Bonne Nouvelle ; cela est très efficace.

  • Le mode de vie chrétien est un témoignage dans la famille et sur les lieux de travail ; les gens sont attirés par les changements qu’ils constatent dans la vie des chrétiens.

  • La politique de liberté religieuse (liberté de construire des églises et liberté d’assister aux cultes) donne confiance aux non-chrétiens.

  • - L’Eglise témoigne dans la société – elle se met au service des gens – elle s’occupe des pauvres – elle aide les nécessiteux – elle fait de l’action sociale.
  • Et, par-dessus tout : la principale raison de la croissance de l’Eglise, c’est que Dieu est à l’œuvre chez ses enfants de Chine ! Continuons à prier pour que se poursuive la diffusion de la Bonne Nouvelle de l’Evangile dans cette partie du monde !

    Nous vous demandons de prier pour la
    Conférence mondiale sur la mission et l’évangélisation
    qui aura lieu à Athènes du 12 au 19 mai 2005
    sur le thème :
    VIENS, ESPRIT SAINT, GUÉRIS ET RÉCONCILIE
    Appelés en Christ à être des communautés de réconciliation et de guérison

    Notes:
    1. Un rapport complet sur cette visite est disponible au COE ; il vous sera envoyé sur simple demande.
    2. En Chine, à tous les niveaux (national, provincial, municipal et cantonal), il existe des comités du CCC et du MPTA qui constituent deux structures parallèles mais en contact étroit et qui fonctionnent sur la base d’une conception commune de la division du travail. Le MPTA a été créé en 1950 et le CCC en 1980. Les « trois autonomies » sont l’autogestion, l’autofinancement et la mission autonome.
    3. La « reconstruction théologique » est un concept lancé par l’évêque K. H. Ting ; il s’agit de dépasser la conception dualiste simpliste, héritée de la période missionnaire, qui divise les gens entre « sauvés » et « perdus », et d’élaborer une théologie qui puisse être en dialogue avec la culture chinoise et la modernisation rapide.
    4. La politique « post-dénominationnelle » est pragmatique : elle encourage les Eglises d’origines dénominationnelles diverses à s’unir dans le culte tout en respectant les différences lorsque cette unité n’est pas (encore) possible.
    5. 100 Questions,Conseil chrétien de Chine, p. 59.
    6. “100 Questions and Answers on the Christian Faith”, Conseil chrétien de Chine, 1983
    7. 100 Questions, Conseil chrétien de Chine, p. 63-65.
    8. Cet article, intitulé : Does the Church Have Anything to say to Modern China ? a été publié par Amity News Service (ANS) le 1er avril 1998 et nous a été communiqué par Mme Teresa Carino, coordinatrice du bureau de Hong Kong d’Amity Foundation
    9. 100 Questions, Conseil chrétien de Chine, p. 11-13.

    10. Dishing Out Baozi and Bibles – A Christian Entrepreneur in China, article de l’ANS, 3-4 août 2003.
    11. LWF Studies. An Overview of Contemporary Chinese Churches, China Study Series, vol. 1, janvier 1997, Lee Chee-Kong, p. 26.
    12. Reformed Roots, Post-Denominational Shoots, article de l’ANS, 3-4 juillet 2003.
    13. Les « points de rencontre » sont des groupes de chrétiens qui se réunissent régulièrement en un lieu donné pour les cultes avec un prédicateur (non ordonné). Ils sont suivis par un pasteur ordonné ou un assistant bénévole relevant d’une paroisse voisine. Lorsque l’un de ces groupes devient suffisamment nombreux et spirituellement développé, il peut constituer une paroisse et a droit à une église pour ses cultes
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