Conseil oecuménique des Églises Bureau de la communication
Document COE

150, route de Ferney, B.P. 2100, 1211 Genève 2, Suisse
Courrier électronique: media



Le 21 septembre 2001

Des réfugiées racontent
Elizabeth Ferris


Mary est veuve ; elle a sept enfants, mais ne sait pas ce que deux d'entre eux sont devenus. C'est une réfugiée sierra-léonienne, une victime de la violence et des brutalités qui ont déchiré ce pays. « En 1998, nous nous sommes enfuis de notre ville de Bo », raconte-t-elle. « Un groupe de rebelles nous ont capturés et ils ont tué mon mari. Ils m'ont forcée à me déshabiller et à me coucher par terre. J'étais sûre qu'ils allaient me tuer. Mais un des rebelles était un garçon de mon village ; il a dit aux autres de me laisser tranquille. Plus tard mon fils m'a trouvée. Comme beaucoup de réfugiés fuyant leur pays, il avait mis tous les habits qu'il possédait, si bien qu'il a pu me donner quelque chose pour me couvrir. Nous avons réussi à aller jusqu en Guinée, où nous avons vécu dans un camp de réfugiés ».

Mary, de Sierra Leone, ainsi que 45 autres femmes réfugiées, est venue à Genève sur l'invitation du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), à l'occasion de la première Journée mondiale des réfugiés, célébrée le 20 juin. C'était la première fois que des réfugiées - venues de camps ou de zones urbaines - et des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays se réunissaient au niveau mondial pour se faire part de leurs expériences et mettre au point des recommandations pour l'action future du HCR. Le Conseil oecuménique des Eglises (COE) est l'une de trois organisations non gouvernementales seulement - avec la Women's Commission for Refugee Women and Children (Commission féminine pour les réfugiées et les enfants) et l'Alliance mondiale des Unions chrétiennes féminines - à avoir été été invitées à participer à cette réunion.

Les réfugiées s'expriment avec force et passion. Elles profitent de l'occasion pour raconter ce qui se passe réellement dans les camps de réfugiés partout dans le monde. A la différence d'autres réunions où les réfugiés participent occasionnellement, ici la plupart de ces femmes ne sont jamais sorties de leur pays... sauf pour chercher refuge de l'autre côté d'une frontière. L'interprétation officielle est assurée en quatre langues et un service d'interprétation informel est offert en plusieurs autres langues, pour que ces femmes puissent se comprendre.

L'atmosphère de la réunion est intense et chargée d'émotion. Des Afghanes, des Tchétchènes, des Burundaises, des Colombiennes et d'autres encore décrivent ce qu'elles ont vécu. Beaucoup, comme Mary, parlent de leur peine et de leur souffrance.

« J'ai tout perdu, tout, lorsque j'ai dû quitter ma maison - mon mari, notre commerce, notre foyer, tout », se lamente Mary. « Puis le 9 septembre, le président de la Guinée a dit à ses compatriotes qu'il fallait chasser les réfugiés hors du pays, et les attaques ont commencé. Les réfugiés qui se trouvaient dans les villes ont été ramassés, battus et tués. Les gens ont attaqué les camps. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien c'était terrifiant. Nous avions tellement peur.

« Il y a quelques mois, le HCR nous a transférés dans un autre camp, plus loin de la frontière. La plupart des réfugiés devaient partager des baraquements avec d'autres familles. Mais moi je voulais que nous restions ensemble, en famille. Quand les enfants vivent avec beaucoup d'autres gens, ils risquent d'apprendre de vilaines choses.

« D'habitude c'est l'homme qui construit la maison, mais mes enfants et moi nous avons travaillé très dur pour fabriquer des briques et construire notre petite cabane. Il y a très peu de place et nous n'avons qu'une seule natte. Le sol en terre battue n'est pas hygiénique et les gens tombent malades. Nous n'avons qu'une seule couverture ; alors mes enfants utilisent une de mes robes pour se couvrir la nuit. Je ne sais pas où sont deux de mes enfants : un fils de 21 ans et une fille de 16 ans. Je ne sais pas où il sont : peut-être dans un autre camp, peut-être de retour en Sierra Leone. C'est tellement triste. La nuit je ne peux pas dormir tellement je me fais de souci pour eux...

« Notre plus gros problème en ce moment, c'est la nourriture. Nous recevons 13,5 kilos de boulgour. C'est censé nous durer 45 jours, mais quelquefois nos rations n'arrivent qu'au bout de 55 ou de 60 jours. Tout le monde a faim. Il faut avoir des forces pour aller chercher sa ration. Sinon les hommes et les garçons vous la prennent. Dans l'autre camp, nous cultivions des légumes, mais ici dans ce nouveau camp, cela prendra du temps. Si seulement nous avions du riz ! Les femmes se prostituent quand elles ne peuvent pas nourrir leurs enfants, et quand les maris l'apprennent, ils les battent. Ca marcherait beaucoup mieux si c étaient les femmes qui recevaient les cartes de rationnement. En général on les donne aux hommes parce qu'ils sont chefs de famille. Mais quelquefois ils échangent les aliments contre des cigarettes ou de l'alcool. Alors c'est la famille qui souffre », explique Mary.

D'autres femmes ont des histoires semblables à raconter : fuite, mort, persécutions, familles séparées et occasions perdues. Mais il y a aussi des récits qui offrent de l 'espoir. « En Afghanistan », explique une réfugiée, « il n'existe aucune institution qui permette aux femmes de devenir enseignantes, médecins ou infirmières. Comme il est interdit aux femmes afghanes de voir un médecin homme ou d'avoir un enseignant de sexe masculin, il s'ensuit que dans quelques années, les femmes et les jeunes filles n'auront pas accès aux soins de santé ni à l'éducation. Mais dans les camps, nous formons des réfugiées afghanes à ces professions. Ces femmes sont l'espoir de l Afghanistan. Nous sommes l'avenir de notre pays. »

Une initiative novatrice
La participation du COE à cette réunion est une reconnaissance du fait qu'il a été l'un des premiers à porter les questions relatives aux femmes réfugiées à l'attention de la communauté internationale. En 1988, il a organisé, en collaboration avec l' Alliance mondiale des UCF et d'autres ONG, un premier colloque sur les femmes réfugiées. Cette initiative novatrice a permis de réunir 150 participants, venus de 40 pays ; 35% des délégués étaient des réfugiées. Plusieurs des recommandations de cette conférence ont été appliquées. Le HCR a défini de grandes orientations et des lignes directrices, mis au point du matériel de formation et engagé du personnel pour s'occuper spécifiquement des questions concernant les besoins des femmes.

Il y a quinze ans, personne ne voulait entendre parler de femmes refugiée s. Les fonctionnaires du HCR et les représentants de gouvernements nous regardaient comme si nous étions fous, parce que nous disions que les femmes réfugiées avaient des besoins et des ressources qu'il fallait reconnaître. Il s'est passé tant de choses depuis. Par exemple, de nombreux gouvernements acceptent aujourd'hui que les demandeuses d'asile doivent pouvoir parler avec des fonctionnaires femmes si elles ont subi des violences sexuelles. Certains programmes ont lancé des projets générateurs de revenus destinés spécialement aux femmes, et les questions relatives à la position des femmes constituent aujourd hui le principal des activités de nombreuses organisations. Mais tant que des femmes continueront à être violées quand elles vont chercher du bois de chauffage et que des familles auront faim parce que l'homme qui possède la carte de rationnement a besoin de cigarettes, il y aura beaucoup à faire.

Les témoignages présentés à la conférence de juin 2001 à Genève confirment en effet que la tâche reste immense. Les femmes continuent à subir des violences physiques pendant leur fuite, dans les camps et au sein de leurs familles. « Quelquefois nos hommes n'ont rien à faire dans les camps », raconte une Burundaise. « Avant ils étaient le soutien de famille, le protecteur, mais maintenant ils se sentent inutiles. La violence dans la famille est souvent causée par ce changement dans les rôles respectifs des sexes ». Une autre femme explique que dans le camp de Dabaab, au Kenya, les femmes doivent marcher pendant des heures pour aller chercher du bois et sont souvent attaquées ou violées en chemin. « Nous pourrions acheter du bois, si nous avions de l'argent », dit-elle. « Nous pourrions ouvrir des petits commerces pour en gagner , mais nous n'avons rien - pas de capital - pour démarrer. »

Lors d'une réunion avec le Haut Commissaire pour les réfugiés, Ruud Lubbers, une réfugiée éthiopienne de 17 ans exprime les préoccupati ons d'innombrables femmes lorsqu'elle lui parle du besoin urgent qu'elles ont de recevoir une éducation. « Nos enfants ont besoin d'écoles », plaide-t-elle. « Nous voulons que vous nous répondiez franchement. Nous voulons que vous disiez « oui », que vous allez faire en sorte que les réfugiées aient accès à l'éducation ». Le Haut Commissaire prend le microphone et répond simplement : « Oui. Je vais le faire. Oui. »

Compressions budgétaires
Malheureusement plusieurs programmes du HCR sont menacés par une récente série de compressions budgétaires.

« Nos rations alimentaires ont été réduites », annonce une réfugiée tanzanienne en soupirant. »Les nôtres aussi », reprend une Afghane au Pakistan. « Et les nôtres aussi »... »Les nôtres aussi ». L'impact des compressions budgétaires du HCR est évident dans les récits de femmes réfugiées de toutes les régions du globe.

Lorsque les rations alimentaires sont réduites, les gens ont faim. Quand les enfants n'ont rien à manger, leurs mères se mettent à se prostituer. Le rapport entre les deux est clair, simple et direct. Pas d'argent pour acheter du bois ... et les femmes doivent aller plus loin pour en chercher. Trop souvent elles se font attaquer ou violer en chemin. « Avant on nous donnait du savon », explique une femme, « mais on l'a supprimé. » « Nous espérions avoir des écoles », continue une autre réfugiée, « mais le HCR n'a pas les moyens de payer des instituteurs ou des institutrices. » Les histoires n'en finissent plus.

Dans les corridors du HCR, on se demande quels programmes vont être touchés par les réductions budgétaires, on raconte comment le bureau X se bat pour que les coupes qui vont l'affecter soient diminuées. « A l'origine on voulait réduire le budget de mon bureau de 40% », déclare un fonctionnaire en souriant, « mais j'ai réussi à ramener ce chiffre à 18% ». Le HCR aurait fait des offres financières généreuses aux personnes de 53 ans et plus qui prendraient une retraite anticipée, afin de réduire les frais de personnel. Il est triste qu'une personne qui a travaillé toute sa vie pour le HCR soit forcée de prendre sa retraite à 53 ans. Mais il est bien plus triste encore que des mères réfugiées voient leurs enfants manquer de nourriture.

« Mon fils a 10 ans et tout ce qu'il a connu, c est la guerre », se lamente une mère angolaise. « Quelle enfance a-t-il eu, quand tout ce qu il a connu, c'est les combats et la fuite ? » Avec un sourire ironique, elle continue ainsi : « J ai 35 ans et toute ma vie je n'ai rien connu d'autre que la guerre. Je suis d'Ovambo mais je suis venue à Luanda, avec d'autres personnes déplacées, à cause de la guerre. Et nous sommes entassés les uns sur les autres. Nous sommes cinq dans une pièce. Je m'occupe de mes neveux et nièces, comme tout le monde dans le pays. Ma mère est morte d'une thrombose la semaine dernière. Elle est morte parce qu'il n'y avait pas de médicaments. »

Il y a tant de récits de besoin, de souffrance, de détresse. Il semble incroyable que le budget du HCR soit réduit parce que les pays riches ne veulent pas payer, parce qu'ils sont las de payer pour secourir les victimes de guerres qui n'en finissent plus. Mais ils ne pourraient pas être plus fatigués de la guerre et de ses souffrances que les femmes qui participaient à cette réunion.

Elizabeth Ferris est chargée de programme dans l'équipe « Relations internationales » du COE.


Pour toute information complémentaire, s'adresser à:
Karin Achtelstetter
Responsable des relations avec les médias
Tél: (+41 22) 791 6153 (professionnel);
Tél: (+41 79) 284 5212 (portable);
Adresse électronique: media
Retour au début

Communiqués de presse 2001

Page d'accueil du COE


Le Conseil oecuménique des Eglises (COE) est une communauté de 342 Eglises. Elles sont réparties dans plus de 100 pays sur tous les continents et représentent pratiquement toutes les traditions chrétiennes. L'Eglise catholique romaine n'est pas membre mais elle collabore activement avec le COE. La plus haute instance dirigeante du COE est l'Assemblée, qui se réunit environ tous les 7 ans. Le COE a été formé officiellement en 1948 à Amsterdam, aux Pays-Bas. Le secrétaire général Konrad Raiser, de l'Eglise évangélique d'Allemagne, est à la tête du personnel de l'organisation.